L’île de Luçon, aux Philippines, était habitée, il y a plus de 50 000 ans, par une espèce dont quelques restes fossiles découverts dans la grotte de Callao sont décrits dans la revue Nature, publiée mercredi 10 avril. Homo luzonensis s’ajoute ainsi à la liste déjà fournie de représentants du genre Homo, défini par trois critères : la bipédie permanente, l’augmentation du volume cérébral et l’utilisation d’outils – même si des pierres taillées vieilles de 3,3 millions d’années récemment découvertes au Kenya laissent penser qu’Homo n’a pas été la première lignée de bipèdes « technologiques ». Plusieurs de ces espèces d’Homo ont été contemporaines de la nôtre, à des époques où l’humanité ne se réduisait pas au seul Homo sapiens et pouvait se conjuguer au pluriel. Album d’une famille en constante recomposition.

Homo erectus

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Aiguillonné par la découverte de Néandertal (1856) et par l’évolution selon Darwin (1859), Charles Dubois, un anatomiste néerlandais, s’était mis en tête de découvrir le maillon intermédiaire entre l’homme et les grands singes. Ses fouilles à Java mirent au jour, à partir de 1890, le pithécanthrope. L’Homme de Pékin, découvert en 1921, conduisit au rapprochement des deux fossiles, sous la même appellation d’Homo erectus. Des fossiles proches retrouvés en Afrique ont depuis été réattribués à une autre espèce, Homo ergaster, généralement considérée comme l’ancêtre d’Homo antecessor en Europe, tandis qu’erectus est désormais cantonné à l’Asie. Chasseur et cueilleur, il maîtrisait le feu et fabriquait des outils de pierre taillée. Peut-être était-il aussi navigateur, s’il est bien l’ancêtre d’Homo floresiensis en Indonésie et d’H. luzonensis aux Philippines ?

Homo naledi

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Lorsque la découverte d’Homo naledi dans une grotte proche de Johannesburg (Afrique du Sud) a été annoncée en 2015, Lee Berger (université de Witwatersrand), responsable des fouilles, en aurait volontiers fait l’« ancêtre de l’humanité ». Son petit crâne poussait certains, dont Yves Coppens, à préférer voir en lui un australopithèque, plus archaïque. Depuis, la datation des quinze individus entassés au fond d’un boyau quasi inaccessible s’est affinée : environ 300 000 ans. Ses doigts de main recourbés en auraient fait un bon grimpeur, capable de se servir d’outils, tandis que ses pieds et ses jambes sont parfaitement adaptés à la marche. Lee Berger estime que la présence des fossiles au fond de la grotte pourrait témoigner de pratiques funéraires, mais l’hypothèse d’une mort accidentelle ne peut être écartée. Pour l’heure, aucun outil associé à Homo naledi n’a été retrouvé.

Homo floresiensis

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Découvert en 2003 dans une grotte de l’île indonésienne de Florès, le « Hobbit », ainsi surnommé en référence au héros de Tolkien, a longtemps eu un statut incertain. Sa taille minuscule et la datation initiale très récente (12 000 ans seulement) ont conduit certains à le considérer comme un Homo sapiens nain ou atteint de microcéphalie. Ces vifs débats sont terminés : en 2016, de nouvelles datations ont été proposées. La grotte où il a été retrouvé aurait été occupée entre – 100 000 et – 60 000 ans. En 2017, la description de fossiles assez similaires, trouvés dans un site proche et datés de 700 000 ans, a enfoncé le clou : Homo floresiensis était présent en Indonésie bien avant l’arrivée de notre espèce. Quant au petit crâne du Hobbit, il ne semble pas l’avoir empêché d’être astucieux : les sites archéologiques sont jonchés de ses outils, et il maîtrisait le feu…

Homo neanderthalensis

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On ne le présente plus, avec son front fuyant et sa réputation de brute. Pourtant, il a fait preuve d’une ingéniosité certaine pour s’adapter à de rudes périodes de glaciation. Bien des questions demeurent sur ses pratiques culturelles et funéraires, sa maîtrise de la parole. Certains soulignent sa production propre et veulent le réhabiliter, quand d’autres voient plutôt en lui un imitateur d’Homo sapiens, moins doué que l’original. Ce qui est certain, c’est que les deux espèces probablement issues d’un ancêtre commun qui vivait il y a 700 000 ans étaient toujours interfécondes 600 000 ans plus tard, comme l’analyse du génome de néandertal l’a prouvé : les populations non africaines actuelles comptent en moyenne 2 % d’ADN néandertalien. La paléogénomique tente désormais de démêler cet écheveau familial, et de mieux nous définir par rapport à cet héritage néandertalien.

Denisova

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C’est une entité humaine en pointillé, définie d’abord par son ADN – une première ! –, plutôt que par les caractéristiques anatomiques d’un fossile : ses découvreurs ne lui ont pas encore donné de dénomination latine binomiale, car ce qui a permis de l’identifier était une minuscule phalange, vieille de plus de 50 000 ans, trouvée en 2008 dans la grotte de Denisova, dans l’Altaï, et attribuée à une jeune fille. Des vestiges plus anciens (200 000 ans) ont depuis été trouvés ainsi qu’un fragment osseux dont on a pu aussi tirer de l’ADN : nouvelle surprise, il s’agissait d’une métisse datant de 100 000 ans, dont la mère était une néandertalienne, et le père un dénisovien. On a retrouvé de 3 à 5 % d’ADN dénisovien chez des Papous et des aborigènes d’Australie.

Homo luzonensis

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C’est le dernier venu dans la famille Homo, décrit dans la revue Nature le 10 avril, à partir de treize fossiles appartenant à au moins trois individus : des dents, des os de pieds et demain et un fémur partiel. Le mélange de caractères archaïques et dérivés (modernes) a conduit leurs découvreurs à proposer une nouvelle espèce, qui peuplait cette île des Philippines il y a plus de 50 000 ans. Comme pour Homo floresiensis, l’isolement aurait conduit à une évolution séparée à partir d’un ancêtre qui pourrait être le responsable de marques de boucherie trouvées sur des restes de rhinocéros vieux de 700 000 ans, trouvés eux aussi à Luçon, à quelques kilomètres à vol d’oiseau.

Homo sapiens

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Notre espèce réserve encore des surprises aux paléontologues. On a longtemps cru qu’elle était née il y a 100 000 ans en Afrique de l’Est, et qu’elle avait entamé sa conquête de la planète il y a environ 60 000 ans. Deux études récentes ont chamboulé ces scénarios. La découverte au Maroc de fossiles de sapiens vieux de 315 000 ans, annoncée en juin 2017, vieillissait de 100 000 ans le registre fossile pour notre espèce. Et plaidait pour son origine « panafricaine », d’autant que les outils retrouvés sur place en évoquent d’autres trouvés ailleurs en Afrique, parfois plus anciens encore. Autre surprise : la découverte sur le Mont Carmel, en Israël, d’une demi mâchoire vieille de 180 000 ans, annoncée début 2018, montre que notre espèce était déjà dans les starting-blocks pour conquérir la planète bien plus tôt qu’on ne l’avait imaginé.

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