Gianni Infantino et Rinaldo Arnold, le 29 février 2016, à Zurich. / VALERIANO DI DOMENICO / AFP

A moins de deux mois du Congrès de la Fédération internationale de football (FIFA), Gianni Infantino peut souffler. Unique candidat à sa succession, le président de l’instance planétaire a dû se réjouir de la décision de la justice suisse de « classer », mercredi 10 avril, la procédure pénale visant son ami d’enfance Rinaldo Arnold, premier procureur du Haut-Valais.

Le juriste a décidé de ne pas poursuivre M. Arnold pour « prise d’avantages » et « éventuellement corruption passive », comme l’indique l’ordonnance de classement, que Le Monde a pu consulter.

Nommé par le ministère public du canton du Valais, en novembre 2018, à la suite des révélations des « Football Leaks », le procureur extraordinaire Damian K. Graf a estimé que son enquête « a réfuté les soupçons initiaux selon lesquels les avantages acceptés par Rinaldo Arnold (en particulier des tickets pour des matches de football et des invitations à des congrès de la FIFA) l’auraient été pour accomplir les devoirs de sa charge, à savoir auraient été obtenus en rapport avec sa position et son activité. »

Procédure d’entraide

Outre les « mails professionnels et personnels » ainsi que « le calendrier électronique » de M. Arnold, Damian K. Graf a aussi eu accès à la correspondance par SMS et via l’application WhatsApp entre le premier procureur du Haut-Valais et Gianni Infantino. D’après l’ordonnance de classement, le président de la FIFA a été entendu, le 21 mars, comme « personne appelée à donner des renseignements ». Ce que confirme la Fédération internationale, jointe par Le Monde.

Selon nos informations, le procureur extraordinaire n’a toutefois pas pris soin de consulter les Football Leaks et n’a pas demandé à y avoir accès. Pourtant, à l’initiative de la France, Eurojust (l’Unité de coopération judiciaire de l’Union européenne) a lancé, en février, une procédure d’entraide sur la base des 12 millions de fichiers fournis par le lanceur d’alerte portugais Rui Pinto. Depuis, Eurojust a obtenu l’ensemble des documents saisis par le « hacker » lusitanien.

Le « hacker » Rui Pinto collabore à l’enquête du Parquet national financier

A la suite de son audition comme témoin, à Paris, en novembre 2018, Rui Pinto collabore avec le Parquet national financier (PNF), qui a ouvert, en décembre 2016, une enquête préliminaire du « chef de blanchiment de fraudes fiscales aggravées », « escroquerie » et « participation à une association de malfaiteurs » après la première vague des Football Leaks.

En mars, le PNF a fait d’urgence le déplacement à Budapest, où Pinto résidait sous surveillance, avant son extradition vers son pays d’origine (le Portugal l’accuse de « tentative d’extorsion aggravée » et de « vol de données ») et récupéré des copies de ses divers disques durs.

Pourquoi M. Graf n’a-t-il pas profité de la procédure d’entraide lancée par Eurojust et demandé au PNF de lui transmettre les Football Leaks ? « Il aurait pu et dû le faire », affirme un proche du dossier. D’autant que le procureur extraordinaire suisse avait été contacté, il y a plusieurs semaines, par Me William Bourdon, l’avocat de Rui Pinto. Ce dernier lui avait fait part de l’intention de son client de collaborer dans le cadre de son enquête sur les liens entre M. Arnold et M. Infantino.

M. Graf n’a pas donné suite. « Il ne sera pas fourni d’autres informations », a répondu au Monde le secrétaire du procureur extraordinaire suisse.

Les rendez-vous de M. Arnold avec le procureur Lauber

En novembre 2018, les Football leaks avaient établi la proximité entre Gianni Infantino et Rinaldo Arnold, originaires tous deux de la même ville : Brigue (Valais). M. Arnold a été invité par la FIFA à assister à plusieurs matchs de la Coupe du monde 2018, en Russie, avec son fils. Il a aussi été convié à assister au congrès de l’organisation, à Mexico, en mai 2016. Sa famille a par ailleurs obtenu des billets pour la finale de la Ligue des champions, la même année.

M. Arnold a organisé, en mars 2016, une rencontre informelle et secrète entre Gianni Infantino et Michael Lauber, procureur général du ministère public de la Confédération helvétique (MPC). Depuis l’opération anticorruption lancée par la justice américaine, le 27 mai 2015, à l’hôtel Baur au Lac de Zurich, M. Lauber a ouvert une vingtaine de procédures en lien avec la Fédération internationale -dont une contre son ancien président (1998-2015), le Suisse Sepp Blatter - et est à l’époque en première ligne lors du « FIFAgate ».

Le rendez-vous entre MM. Infantino et Lauber a eu lieu à l’hôtel bernois Schweizerhof, le 22 mars 2016, cinq jours après l’ouverture d’une procédure pénale contre le Français Jérôme Valcke, ex-secrétaire général de la FIFA (2007-2015), pour des « soupçons de gestion déloyale multiple et d’autres délits ». La FIFA s’était portée partie civile.

Le 22 avril 2016, une deuxième rencontre de MM. Infantino et Lauber a eu lieu au restaurant Au premier, à Zurich. « Cette rencontre d’une heure a servi à clarifier des questions spécifiques à la procédure », affirme le MPC.

Quinze jours plus tôt, le 6 avril 2016, le MPC a perquisitionné le siège de l’UEFA à Nyon. Le patronyme du président de la FIFA vient alors d’être cité dans les « Panama papers », qui ont révélé un contrat douteux pour les droits audiovisuels. Ce contrat a été signé, en 2006, par M. Infantino, lorsque ce dernier officiait comme directeur de la division des affaires juridiques de l’UEFA, avec une société offshore. Le bureau du procureur fédéral a ouvert une enquête contre X.

Après la perquisition, M. Infantino contacte M. Arnold. Lequel appelle le bureau du procureur fédéral pour recueillir des informations. « Si tu veux, je peux essayer de faire en sorte que le MPC diffuse un communiqué de presse qui expliquerait qu’il n’y a pas de procédure contre toi », écrit-il, dans la foulée, au patron de la FIFA.

Selon les Football Leaks, le procureur en chef du Haut-Valais propose d’accompagner M. Infantino à une réunion avec les enquêteurs fédéraux et d’examiner « s’il convient ou non de porter plainte pour diffamation ». Un mois plus tard, dans un e-mail, M. Arnold soumet – vainement – sa candidature à M. Infantino comme « adjoint » de la secrétaire générale de la FIFA, la Sénégalaise Fatma Samoura.

En janvier 2018, le MPC a rendu une ordonnance de non-lieu dans l’affaire du contrat de télévision douteux.