Couple standing in front of large judge / Paul Reid/Ikon Images / Photononstop / Paul Reid/Ikon Images / Photononstop

L’union de Louise et Louis F. dure environ trente ans. Le 5 novembre 2001, un juge prononce leur divorce sur requête conjointe. La convention qu’il valide porte notamment sur la « prestation compensatoire », cette allocation destinée à compenser la disparité que la rupture du lien conjugal crée dans les conditions de vie respectives des époux.

Au titre de cette prestation, la convention prévoit que Louis versera à Louise, entre autres, une rente mensuelle de 3 000 euros, qui sera indexée sur le coût de la vie. Curieusement, la convention ne stipule pas, alors que c’est généralement le cas, que la rente sera versée « jusqu’à une certaine date » (« rente temporaire ») ou « jusqu’au décès de l’épouse » (« rente viagère ») ; elle indique que la rente sera versée « jusqu’au décès de l’époux ».

« A tout moment »

Quinze ans plus tard, Louis demande au juge le droit de remplacer le versement de cette rente par celui d’un capital, comme il en a la faculté, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 30 juin 2000, relative à la prestation compensatoire en matière de divorce. Le législateur, conscient du fait que l’étalement dans le temps de la rente impose le maintien, douloureux, d’un lien entre des ex-époux, a prévu que celui qui doit la prestation compensatoire peut, « à tout moment », demander « la substitution à la rente d’un capital », qui sera versé une fois pour toutes.

Cette disposition a été introduite dans le code civil à l’article 276-4, sans imposer un mode de calcul. Certains juges ont utilisé une méthode de « capitalisation », consistant à estimer le montant du capital nécessaire à la production d’un revenu équivalent à la rente ; d’autres ont utilisé une méthode de « conversion », consistant à prendre en compte l’âge du créancier et son espérance de vie, en fonction de barèmes établis par les compagnies d’assurance.

Espérance de vie

Pour garantir une meilleure sécurité juridique, la loi du 26 mai 2004 relative au divorce a prévu que « la substitution s’effectue selon des modalités fixées par décret en Conseil d’Etat ». Ce décret, du 29 octobre 2004, fixe une règle de calcul spécifique : le montant du capital se détermine en multipliant celui de la rente annuelle indexée, par un coefficient, lié à l’espérance de vie du créancier et à un taux d’intérêt technique de 4 %. Pour trouver le coefficient, il faut se reporter aux tables de conversion, classées par catégories (viagères et temporaires) et par sexe, qu’il fournit.

A titre d’exemple, si la créancière d’une rente viagère est une femme de 60 ans, le coefficient applicable est de 15,478 euros ; si c’est une femme de 80 ans, le coefficient est moindre, d’un montant de 7,563 euros. Si la créancière d’une rente temporaire est une femme de 60 ans, qui doit encore percevoir quatre ans de rente, le coefficient applicable est de 3,672 euros. Si c’est une femme de 80 ans, le coefficient est de 3,407 euros.

Table de conversion « homme » ou « femme » ?

La convention de divorce des F. ayant prévu que la rente de Louise sera versée jusqu’à la mort de Louis, celui-ci se reporte à la table de conversion « homme » de la rente viagère ; en face de son âge (76 ans), il trouve le coefficient 7,564, qu’il multiplie par le montant de la rente annuelle indexée (44 409,48 euros). Il propose ainsi de payer à Louise un capital de 335 913 euros.

Louise l’assigne devant le tribunal de grande instance de Privas (Ardèche), afin qu’il lui verse la somme de 524 698 euros. Elle estime en effet qu’il faut choisir la table « femme », puis se référer à son âge à elle (70 ans), pour trouver le bon coefficient, de 11,815 euros. Elle explique pour ce faire que le décret du 29 octobre 2004 évoque les « probabilités de décès du crédirentier », et que c’est elle, la crédirentière.

Le tribunal, qui statue le 9 février 2017, estime que c’est la somme de 335 913 euros qui est due. Il considère en effet qu’avec leur convention de divorce, « les parties ont clairement voulu donner pour terme au versement non pas le décès de la crédirentière, mais le décès du débirentier ».

Ni viagère ni temporaire

Louise fait alors appel, en soutenant cette fois qu’aucune des tables du décret ne peut être choisie, puisque la rente prévue par leur convention n’est « ni viagère, ni temporaire », seules hypothèses énoncées par ce texte. Elle en déduit que, dans leur cas, la substitution d’un capital est impossible. La cour d’appel de Nîmes lui donne raison, le 17 janvier 2018, en estimant qu’« aucune dérogation » au « mode de calcul » fixé par le décret du 29 octobre 2004 « n’est possible ». Elle infirme le jugement, et rejette la demande de substitution de Louis.

Celui-ci se pourvoit en cassation. Son avocat, Me Dominique Foussard, explique que « lorsqu’un texte législatif porte une règle d’application générale qui n’est assortie d’aucune réserve, ni d’aucune restriction, il est exclu que le texte réglementaire auquel il renvoie puisse en restreindre le domaine ». Par conséquent, « dans la mesure où l’article 276-4 du code civil institue le principe d’une substitution d’un capital à toutes rentes, quelles qu’en soient la forme ou les modalités, le texte réglementaire auquel il a renvoyé ne peut soustraire à la conversion tel ou tel type de rente ».

Selon lui, le fait que le décret de 2004 ne comporte que deux annexes, sur les rentes viagères et les rentes temporaires, signifie qu’il renvoie « au droit commun pour le cas où la rente ne répond à aucune de ces deux qualifications » : le juge est obligé de trouver une solution.

La Cour de cassation lui donne raison, le 20 mars (2019). Elle censure l’arrêt et renvoie les parties devant la cour de Montpellier. Certains juristes estiment que cette cour devra faire une conversion, selon la méthode qu’elle choisira « dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation ». Ils n’excluent pas toutefois qu’elle puisse qualifier la rente litigieuse de « rente viagère, constituée sur la tête du débiteur », et utiliser l’une des tables du décret.