En Seine-Saint-Denis, des établissements scolaires sous pression
En Seine-Saint-Denis, des établissements scolaires sous pression
Par Mattea Battaglia, Camille Stromboni
L’agression d’une enseignante dans un collège de Saint-Denis, la semaine passée, remet la question de la sécurité sur le devant de la scène.
Les cours ont repris, lundi 15 avril, au collège Elsa-Triolet de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), trois jours après l’agression d’une enseignante. « L’ordinaire reprend ses droits, témoigne Inaki Echaniz, conseiller principal d’éducation syndiqué au SNES-FSU. Pour assurer la continuité du service public d’éducation, nous sommes de nouveau sur le pont, sans peur… » Ou presque : car l’agression d’une professeure de français de 26 ans, survenue dans ce collège jeudi 11 avril, suivie d’une journée durant laquelle les personnels ont exercé leur « droit de retrait », a éprouvé l’équipe. Elle a aussi remis sur le devant de la scène la question de la sécurité dans les établissements scolaires, alors que le gouvernement a plusieurs fois reporté l’annonce du « plan violences » promis cet automne.
Le scénario de l’intrusion au collège Elsa-Triolet, rapidement partagé sur les réseaux sociaux, a créé une forte émotion. Jeudi, en milieu d’après-midi, un groupe d’adolescents interpelle une classe depuis la rue, lance un pavé dans la vitre, puis l’un d’eux escalade la grille pour s’introduire dans la salle. Il insulte l’enseignante, la braque avec un pistolet factice en tirant des billes en direction de son visage. La professeure n’a pas été blessée. L’agresseur, un adolescent de 15 ans exclu du collège quand il était en 5e, a été mis en examen et placé sous contrôle judiciaire.
Dans les cercles d’enseignants, on n’hésite plus à parler d’une « liste noire » mettant à l’épreuve, depuis plusieurs semaines, le département. A Saint-Denis, c’est l’agression d’un enseignant au collège La Courtille, et l’irruption d’élèves armés de battes et de marteaux au lycée Paul-Eluard qui ont ébranlé les équipes ; à Aubervilliers, une assistante d’éducation et un enseignant du collège Diderot ont été agressés.
« Brigade régionale de sécurité »
Au rectorat de l’académie de Créteil, on reconnaît une « recrudescence » des incidents, « concentrée » dans la ville de Saint-Denis.
« Mon sentiment est que l’école n’est pas visée en tant qu’institution : elle fait les frais d’une situation très dégradée et de tensions entre jeunes devenues très vives dans les cités », fait valoir le recteur Daniel Auverlot.
Pour certains, le problème est cependant plus large. « La situation s’aggrave, pas seulement en Seine-Saint-Denis, avec des événements de plus en plus violents et de plus en plus fréquents », estime ainsi Marie-Carole Ciuntu, vice-présidente de la région Ile-de-France chargée des lycées. Lundi, Valérie Pécresse, présidente Les Républicains de la région, a communiqué sur le déploiement d’une « brigade régionale de sécurité » de quinze membres mobilisables dans les lycées franciliens. Un dispositif qui s’inspire de l’existant : les équipes mobiles de sécurité – « EMS » dans le jargon de l’école – ont soufflé leurs dix bougies, rappelle M. Auverlot, qui comptabilise une soixantaine de personnels de ce type rien que dans son académie.
« La région s’engouffre là où l’Etat se désengage », souffle-t-on dans les rangs du SNES-FSU-93, syndicat d’enseignants majoritaire dans le second degré, où l’on déplore que « la réponse, pour l’heure, se résume à l’aspect sécuritaire et vienne des collectivités ». « Il pourrait y avoir un effort plus important de l’Etat », glisse-t-on à la présidence de région.
« Pas de solution magique »
L’Etat a annoncé il y a cinq mois, dans le sillage de l’agression d’une enseignante à Créteil, braquée elle aussi avec une arme factice par un élève, qu’il comptait s’atteler à ce chantier avec un « plan violences » – le quinzième en deux décennies, selon les calculs des proviseurs. Trois ministères sont impliqués : l’éducation, la justice et la santé. Trois axes ont été esquissés : renforcement de la sécurité aux abords des établissements, prise en charge des élèves « polyexclus », mesures de responsabilisation des familles n’excluant pas des sanctions financières. L’annonce officielle de ce plan a été retardée notamment en raison de dissensions autour de ce dernier volet.
Sur le terrain, le gouvernement est attendu au tournant. « Nous sommes les mieux placés pour identifier ce dont nous avons besoin, reprend Inaki Echaniz, du collège Elsa-Triolet. Cela ne peut se résumer à une réponse ponctuelle, centrée sur l’envoi de brigades ou de policiers : il faut un investissement massif pour mieux accompagner les élèves dans nos territoires. » « Il faut faire baisser la température dans les établissements, renchérit Stéphane Crochet du SE-UNSA. Et pour ça, il n’y a pas de solution magique : cela passe par un travail dans la durée sur le climat scolaire. »
Dans un rapport présenté à l’Assemblée il y a bientôt un an, les députés François Cornut-Gentille (LR) et Rodrigue Kokouendo (LRM) dénonçaient, en Seine-Saint-Denis, la faillite d’un Etat « inégalitaire et inadapté », particulièrement sur le terrain de l’école. « Cela fait des années que les familles font ce constat », s’énerve Rodrigo Arenas de la Fédération de parents d’élèves FCPE, qui redoute déjà que ce « plan se résume à un message politique en direction de l’opinion publique », mais passe à côté des besoins des premiers concernés.
Des « internats tremplins » pour les élèves polyexclus
Quatre personnalités (une rectrice, un inspecteur, une édile, un député) chargées par le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, d’émettre des préconisations pouvant servir d’ossature au « plan violence » se sont saisies de la question des collégiens et des lycéens plusieurs fois exclus de leur établissement. Leur rapport, remis le 14 février et dont Le Monde a pu consulter des extraits, propose, entre autres, la création d’« internats tremplins » qui pourraient accueillir des « élèves ayant fait l’objet d’une double exclusion définitive ». Ces adolescents, âgés de 12 à 18 ans, seraient « volontaires », et leur accueil dans ces structures se ferait sur la base d’un contrat formalisé avec eux et leur famille. Seraient aussi concernés des jeunes faisant l’objet d’une mesure judiciaire d’éloignement. Les membres de la mission n’ont pas réussi à s’entendre, semble-t-il, sur les mesures de responsabilisation des familles, en particulier la suspension des allocations familiales.