Au Pérou, quatre ex-présidents impliqués dans l’affaire Odebrecht
Au Pérou, quatre ex-présidents impliqués dans l’affaire Odebrecht
Par Angeline Montoya
Tous les chefs d’Etat ayant gouverné le pays sud-américain entre 2001 et 2018, dont Alan Garcia, qui s’est suicidé mercredi, sont soupçonnés d’avoir reçu des pots-de-vin de l’entreprise de BTP brésilienne.
Alan Garcia s’est suicidé mercredi à l’âge de 69 ans et est mort à l’hôpital Casimiro Ulloa de Lima / Martin Mejia / AP
Alan Garcia – qui s’est suicidé mercredi 17 avril d’une balle dans la tête –, Alejandro Toledo, Ollanta Humala et Pedro Pablo Kuczynski – hospitalisé mercredi pour un problème de tension artérielle – ont en commun d’avoir été présidents du Pérou. Mais tous les quatre ont également en commun d’être soupçonnés d’avoir touché des pots-de-vin de la société brésilienne Odebrecht.
Cette multinationale, à l’origine de 2 000 chantiers dans 30 pays, faisait partie d’un cartel formé avec d’autres groupes du bâtiment et des travaux publics (BTP) au Brésil pour se partager les appels d’offres de la société pétrolière Petrobras. Les marchés, surfacturés, offraient de généreuses contreparties aux cadres du groupe pétrolier dans la confidence, arrosant, au passage, les politiques de tout bord.
Mais Odebrecht a poussé cette mécanique corruptrice au-delà des frontières brésiliennes. En décembre 2016, ses responsables ont admis devant la justice américaine avoir payé des pots-de-vin pour un total de 788 millions de dollars (697 millions d’euros) dans douze pays d’Amérique latine et d’Afrique.
Si, pour le Pérou, l’entreprise a reconnu le versement de 29 millions de dollars de dessous de table à des chefs d’Etat, des candidats présidentiels, des ministres ou des gouverneurs, le montant s’élèverait en fait à 45 millions de dollars, selon le site d’enquêtes journalistiques Ojo Publico. Une équipe spéciale de procureurs a été créée, appelée « Lava Jato » (« lavage express », en portugais), du même nom que l’opération qui, au Brésil, a dévoilé le scandale Petrobras.
Alan Garcia (1985-1990 et 2006-2011)
Des partisans d’Alan Garcia apprenant sa mort, mercredi 17 avril. / LUKA GONZALES / AFP
Alan Garcia, qui s’est suicidé mercredi à l’âge de 69 ans et est mort à l’hôpital Casimiro Ulloa de Lima, est devenu en 1985, à 36 ans, le plus jeune président du Pérou. Il a gouverné jusqu’en 1990, puis de nouveau entre 2006 et 2011.
La police venait d’arriver à 6 h 30 (heure locale), mercredi, à son domicile de Lima, pour le placer en détention provisoire à la demande de la justice dans une affaire de blanchiment d’argent présumé liée au scandale Odebrecht. Expliquant qu’il allait appeler son avocat, « il est entré dans sa chambre et a fermé la porte. Quelques minutes après, un coup de feu a été entendu et [la police] l’a retrouvé assis avec une blessure à la tête », a expliqué le ministre de l’intérieur, Carlos Moran, lors d’une conférence de presse.
Mardi, M. Garcia avait déclaré que, cette fois, il ne se cacherait pas et ne demanderait pas d’asile, en référence à sa tentative ratée du mois de décembre 2018. Il avait alors demandé l’asile à l’Uruguay en restant seize jours dans l’ambassade de ce pays à Lima. Montevideo avait rejeté sa demande après examen de son dossier.
Le parquet péruvien soupçonne M. Garcia et 21 autres personnes d’avoir fait en sorte que l’entreprise néerlandaise ATM Terminals remporte en 2011 une concession portuaire, alors qu’il était président. Ces dernières semaines, l’ancien dirigeant s’était défendu en affirmant « qu’il n’existait aucune dénonciation, preuve ou transfert [d’argent] qui [le] lieraient à un quelconque fait répréhensible et encore moins avec l’entreprise Odebrecht ou à un de ses chantiers ».
Alejandro Toledo (2001-2007)
Alejandro Toledo, qui a été élu après la destitution de l’autocrate Alberto Fujimori en 2000, est un fugitif depuis 2017. La justice péruvienne a demandé son extradition aux Etats-Unis, pays où il vit toujours.
M. Toledo est accusé d’avoir touché 17 millions de dollars en pots-de-vin versés à un prête-nom, Yossi Maiman, un homme d’affaires israélien, par l’entreprise brésilienne Odebrecht, soucieuse de s’assurer la construction de la route interocéanique qui relie le Pacifique et l’Atlantique. Il est également accusé de trafic d’influence et de blanchiment d’argent.
Ollanta Humala (2011-2016)
Ollanta Humala a succédé au second mandat d’Alan Garcia en 2011. M. Humala et son épouse, Nadine Heredia, avaient été placés en détention provisoire en juillet 2017 à la demande du parquet, qui réunit des documents et des preuves afin de les juger pour blanchiment d’argent. Ils sont soupçonnés d’avoir reçu 2,8 millions de dollars d’Odebrecht pour la campagne électorale de 2011.
Selon les déclarations à la justice de l’ancien patron d’Odebrecht au Pérou, Jorge Barata, qui collabore activement avec la justice péruvienne, cet argent aurait été remis à M. Humala à la demande du parti du président brésilien de l’époque, Luiz Inacio Lula da Silva. Dans le cadre de l’enquête, un juge avait ordonné leur placement en détention provisoire pendant dix-huit mois. Ils avaient été libérés neuf mois plus tard, en mai 2018.
Le 22 février, l’ex-responsable des relations institutionnelles d’Odebrecht, Raymundo Trindade Serra, a assuré à l’équipe de procureurs péruviens avoir été présent lors de la rencontre entre Jorge Barata et Nadine Heredia, lors de laquelle celle-ci aurait reçu un million de dollars pour la campagne de son mari.
Pedro Pablo Kuczynski (2016-2018)
Pedro Pablo Kuczynski, en détention provisoire depuis le 10 avril dans le cadre de l’affaire Odebrecht, a été hospitalisé d’urgence, mercredi 17 avril, pour un problème de tension, peu après l’annonce du suicide d’Alan Garcia. « L’ex-président Kuczynski a été transféré à la clinique anglo-américaine à cause d’un problème de tension artérielle élevée », a déclaré le député Gilbert Violeta, qui préside le parti de l’ancien chef de l’Etat.
Agé de 80 ans, M. Kuczynski, qui avait pris ses fonctions en 2016, juste avant l’explosion du scandale Odebrecht au Pérou, se trouve en soins intensifs. Celui que les Péruviens surnomment « PPK » est devenu en mars 2018 le premier président en exercice à démissionner à cause de ses liens avec Odebrecht, qui a affirmé avoir payé près de 5 millions de dollars à des entreprises de conseil directement liées au chef de l’Etat, alors ministre, entre 2004 et 2013.
L’enquête s’est portée sur lui parce qu’il a été le premier ministre du président Alejandro Toledo au moment de la concession de la route interocéanique entre le Pacifique et l’Atlantique.
Il avait été arrêté 10 avril et placé en détention préliminaire pendant dix jours. Qualifiant son arrestation d’« arbitraire », il avait fait valoir qu’il avait toujours collaboré avec la justice de son pays. Le parquet a demandé le prolongement de sa détention provisoire pour une durée de trente-six mois.
Keiko et Alberto Fujimori, tous deux en prison
La dirigeante de l’opposition péruvienne Keiko Fujimori, fille de l’ex-président Alberto Fujimori (1990-2000), a elle aussi été touchée par le scandale Odebrecht. Elle a été arrêtée le 10 octobre 2018 à la demande du parquet au moment où elle se rendait dans le bureau du juge pour être entendue sur le financement de sa campagne électorale à la présidentielle de 2011 – remportée par Ollanta Humala – à hauteur de 1,2 million de dollars.
La justice, qui l’a mise en détention provisoire pour trente-six mois, soupçonne le parti de Keiko Fujimori, Fuerza Popular, qui domine le Parlement, d’avoir touché de l’argent d’Odebrecht, et a accusé Mme Fujimori – également candidate en 2016 contre Pedro Pablo Kuczynski – de diriger une « organisation criminelle » au sein de sa formation.
Son père, Alberto Fujimori, est lui aussi en prison, où il purge une peine de vingt-cinq ans de réclusion pour les crimes commis dans le cadre de la guerre contre la guérilla du Sentier lumineux. Il avait notamment été reconnu coupable d’avoir commandité deux massacres perpétrés par un escadron de la mort en 1991 et 1992.
Il avait été libéré en décembre 2017 après une grâce controversée accordée par le président Kuczynski, mais cette décision avait été annulée par la Cour suprême en octobre 2018.