« J’en avais marre d’être payé une misère en passant mon temps à courir »
« J’en avais marre d’être payé une misère en passant mon temps à courir »
Après avoir travaillé dans la restauration et dans le monde ferroviaire, Samy Tolba, 26 ans, titulaire d’un bac ES et d’un CAP de cuisine, a fini par trouver sa voie en devenant consultant en réseaux sociaux. Il est aussi étudiant en licence de psychologie.
Voix d’orientation. Le Monde Campus et La ZEP, média jeune et participatif, s’associent pour faire témoigner lycéens et étudiants sur leurs parcours d’orientation. Aujourd’hui, Samy Tolba, 26 ans, Parisien, écrit son parcours, chaotique au début, entre bac ES, CAP de cuisinier, puis études de psychologie à Nanterre. Il a fini par créer son agence et devenir consultant en réseaux sociaux.
Samy Tolba, 26 ans.
A 10 ans, je voulais être archéologue parce que j’avais kiffé Jurassic Park et que le mot était joli. Puis le temps a fait son chemin. Aujourd’hui, j’ai 26 ans et je suis consultant en réseaux sociaux, un de ces nouveaux métiers qui n’existaient pas il y a cinq ans. Et encore moins pour moi…
Petit gars du 19e arrondissement de Paris, j’ai passé ces huit dernières années à chercher ma voie, à me chercher moi-même, perdu entre ce que la société attend des jeunes et ce qu’une mère immigrée attend de son fils unique. Après mon bac ES, j’enchaîne sur un CAP [certificat d’aptitude professionnelle] cuisine en alternance. Dans mon entreprise, je rencontre le racisme et la violence d’un monde « militarisé ». Brigade de cuisine, on m’a dit. Ça aurait dû m’interpeller. Seul Algérien de la cuisine d’un restaurant installé sur les Champs-Elysées, l’année de la qualification de l’Algérie en Coupe du monde après vingt-six ans d’absence… fallait le faire ! Des remarques racistes, j’en ai eues. « Alors, tu rejoins tes compatriotes pour brûler des voitures après le service ? »
Des horaires impossibles, parfois 8 heures-minuit sans pause. Ce n’était jamais assez. Mon chef m’a dit, après trois jours enchaînés à ce rythme effréné : « Tout le monde pense que t’es une merde ici et je commence à croire pareil. » Un jour, à force de tensions accumulées, de rage contenue, de journées enchaînées, je fais une rupture nerveuse en plein service : je vois blanc et tombe par terre, pris de spasmes. Pompiers, hospitalisation de plusieurs jours. On me trouve un ulcère à l’estomac, une anémie aiguë… La totale !
Je ne quitte pas la restauration pour autant, j’obtiens mon CAP tant bien que mal et continue mon aventure comme serveur en brasserie. Une belle expérience, qui me permet de passer (enfin) mon permis. Mais j’en avais marre d’être payé une misère en passant mon temps à courir sous pression pour servir à manger. Fallait que je trouve autre chose.
Flash-back d’un samedi soir lambda dans une ruelle avec mon pote :
Mitch : « T’as entendu la nouvelle ? Abdel il a trouvé un vrai taf, il gagne 5 000 euros par mois ! »
Moi : « Abdel qui ? Le gros ?! Mais il a même pas l’brevet ! »
Mitch : « Si, si, je te jure ! En plus, il a une voiture de fonction, il voyage gratuitement dans toute la France, et tu sais c’est quoi le mieux ? Son boulot, c’est d’appuyer sur un bouton trois fois dans la journée, et il bosse que quatre heures par jour ! »
Moi : « Bah, c’est sûr que faut pas le brevet pour ça… Mais c’est quoi ton plan “Licorne” là ? »
Mitch : « Faut juste le permis et un casier vierge ! »
Un plan « Licorne », c’est comme dans les start-up. C’est LE truc qui te fait percer et quitter la galère définitivement, et c’est tellement improbable que c’est peu crédible. Ni une ni deux, je me renseigne sur les démarches à suivre, et trois semaines plus tard je pars pour une formation au métier d’« annonceur/sentinelle » [agent chargé de surveiller l’approche des circulations de trains].
Ma mission, si je l’accepte : appuyer sur un bouton pour annoncer l’arrivée des circulations sur les chantiers ferroviaires. Salaire : 1 200 euros net de fixe et moult indemnités de déplacement, de travail de nuit, de repas… qui gonflent la fiche de paye jusqu’à 4 000 euros certains mois. Avantage : un CV stylé, une voiture de fonction, un logement et, pour les plus sensibles comme moi, la découverte des superbes régions et paysages de notre beau patrimoine français.
Mais je n’étais pas satisfait. Ah ces jeunes ! 23 ans, un salaire de député et pas content ! Quelque chose clochait : la délation, les coups bas entre collègues pour des primes, la perspective de ces CDD à répétition, le niveau intellectuel au ras des pâquerettes peut-être ? Le manque de liberté certainement.
Je décide donc de créer ma propre entreprise en ligne. Objectif : la liberté financière, cet eldorado qui me permettra de vivre une vie sur mesure, sans contrainte de temps ou d’espace. Alors je m’essaie au bloguing. Je me forme en ligne à la conception d’un site WordPress et à l’établissement d’une ligne éditoriale, au choix d’une thématique qui me ressemble.
Transformé par le « développement personnel »
C’est là que je fais la rencontre d’un domaine qui va changer ma vie : le développement personnel. Je tiens un blog pendant plus d’un an sur ce sujet, me découvrant moi-même au fur et à mesure des lectures que je fais pour l’alimenter. Je me forme en ligne et en présentiel à différentes méthodes issues de la programmation neurolinguistique, je suis des cours chez Trans-formations. Je fais du mind mapping, de la lecture rapide ou du process communication. Je rencontre des mentors inspirants qui me laissent une marque indélébile et orientent mon parcours. Tel Santiago durant son voyage dans L’Alchimiste, de Paulo Coelho.
Mais ça ne me suffit pas. La légende de l’entrepreneur successfull dès ses débuts restera une légende… Mon aventure entrepreneuriale me laisse plus qu’endetté, et je me vois contraint d’enchaîner les jobs précaires pour remonter la pente. C’est exactement là que, poussé par ma famille et mes proches, je décide de reprendre mes études.
Bienvenue sur Parcoursup… Malgré mon inscription dès son ouverture, malgré une adresse postale parisienne depuis vingt-six ans, on m’a proposé dix jours après la rentrée une première année de licence de psychologie à Montpellier… Il n’en a pas fallu plus pour éveiller mon instinct de révolutionnaire : je saisis l’UNEF [Union nationale des étudiants de France] pour faire appel du refus d’admission par l’université Paris-Nanterre. S’ensuivent de longues semaines de mobilisation. J’ai été jusqu’à me faire interviewer par TF1 sur Parcoursup ! Et ça m’a finalement valu mon inscription à l’université à la fin d’octobre.
Une victoire ? Loin de là. Etant étudiant, je n’ai plus de revenus, je dois rattraper un mois et demi de cours, moi qui ai quitté les bancs de l’école il y a plus de huit ans… me voilà submergé. Après un premier semestre difficile, je commence le second en dérogatoire afin de me laisser le temps de trouver un travail à temps plein. Toujours fatigué de la restauration et du ferroviaire, ayant essuyé de nombreux échecs en tant qu’entrepreneur, je cherche désespérément une solution.
Plutôt que de chercher à appliquer à moi-même ce que j’apprenais en sciences cognitives, j’ai cherché à augmenter ma visibilité sur les réseaux, et à devenir expert de ce sujet. Aujourd’hui, à deux semaines des partiels, je ne donne pas cher de mon année. Mais mon agence de communication numérique, @tolbagency, est née. Pour la première fois, je me sens enfin dans mon élément. J’ai déjà mes premiers clients et une liste de prospects chauds qui attendent mes devis, ainsi que de belles propositions de partenariats.
Avec le recul, tout ce que j’ai vécu jusqu’ici m’a permis de découvrir mon potentiel de communicant et d’exploiter mes premiers échecs d’entrepreneur. Grâce à ça, je peux aujourd’hui aider les autres à rendre visible leur entreprise sur les réseaux sociaux tout en continuant de m’instruire dans les domaines qui me plaisent. Tant que vous faites quelque chose qui vous plaît et vous fait vibrer, le bonheur ne sera jamais très loin.
La zone d’expression prioritaire (ZEP) accompagne la prise de parole des 15-25 ans
La zone d’expression prioritaire (ZEP) est un dispositif d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans par des journalistes professionnels. Par l’intermédiaire d’ateliers d’écriture dans des lycées, universités, associations étudiantes ou encore dans des structures d’insertion, ils témoignent de leur quotidien et de l’actualité qui les concernent.
Tous leurs récits sont à retrouver sur Le Monde Campus et sur la-zep.fr.