Extrait du film « Monrovia ». / METEORE FILM

LA LISTE DE LA MATINALE

Les familles sont mises à rude épreuve cette semaine dans les salles obscures, entre tentation du djihad et résurgence d’un passé communiste. Egalement à l’affiche, une plongée dans l’enfer rwandais et un documentaire sur la vie dans une petite bourgade de l’Indiana.

« L’Adieu à la nuit » : l’appel du djihad vu par Téchiné

L'ADIEU À LA NUIT Bande Annonce (2019) Catherine Deneuve, Film Français
Durée : 02:01

Après un drame historique en demi-teinte quelque peu décevant (Nos années folles, 2017), André Téchiné, 76 ans, l’un des plus fins et généreux conteurs du cinéma français, revient comme ragaillardi avec un nouveau film, qui non seulement renoue avec des motifs familiers de son cinéma (les étendues de son Sud-Ouest natal, les affres d’une jeunesse prenant la tangente, la présence de Catherine Deneuve, sa comédienne fétiche), mais délivre aussi sa propre variation sur un sujet d’actualité brûlant, rendu parfois difficilement audible par le tumulte médiatique. Inspiré par le recueil d’entretiens Les Français jihadistes (Les Arènes, 2014), du journaliste David Thomson, le film se penche sur la radicalisation religieuse de jeunes gens pas forcément défavorisés, parfois même bien intégrés, et sur la volonté aussi farouche que déroutante qui pousse certains d’entre eux à partir faire la guerre en Syrie.

Muriel (Catherine Deneuve), femme à poigne et d’expérience, dirige avec son associé, Youssef (Mohamed Djouhri), un centre équestre flanqué d’une somptueuse cerisaie. Elle reçoit, pour quelques jours de vacances, son petit-fils, Alex (Kacey Mottet Klein, révélé par Téchiné dans Quand on a 17 ans, en 2016), avant qu’il ne parte s’installer définitivement au Canada avec sa petite amie, Lila (Oulaya Amamra), aide-soignante et familière du centre. Bien loin de retracer le mécanisme d’endoctrinement au djihad, comme avait pu le faire Philippe Faucon avec La Désintégration (2011), L’Adieu à la nuit sonde plus intimement le gouffre, la rupture aveugle, entre des générations dont les aspirations ont fini par différer.

La caméra fait du mouvement son point d’interrogation : qu’est-ce qui meut Alex et ses amis ? Après quoi courent-ils ? Quel motif caché, quel désir morbide ? A travers ces questions, Téchiné trace un sillon bien connu de son cinéma, qui consiste à filmer la jeunesse dans ses élans, fussent-ils incohérents ou irrationnels, car ils définissent sa beauté propre. Mathieu Macheret

Film français d’André Téchiné. Avec Catherine Deneuve, Kacey Mottet Klein, Oulaya Amamra, Stéphane Bak (1 h 43).

« Monrovia, Indiana » : dans le Midwest trumpiste

Monrovia, Indiana - Official Trailer (2018)
Durée : 01:55

Filmer le réel, c’est se soumettre à ses caprices. Il arrive que la chance sourie pendant qu’on a l’œil collé au viseur. Des cinéastes en ont profité pour réaliser des films renversants. Mais il en va de la chose documentaire comme de la militaire, c’est dans l’adversité que se révèle la grandeur. Monrovia (Indiana), la ville, n’a pas offert à Frederick Wiseman ce à quoi le vieux (89 ans) réalisateur pouvait prétendre : une radiographie de ces Etats-Unis « rouges » (de la couleur qui désigne le Parti républicain) qui ont porté Donald Trump au pouvoir.

Monrovia, Indiana, le film que Wiseman a rapporté de son séjour dans cette bourgade située à quelques dizaines de miles de la capitale de cet Etat du Midwest, Indianapolis, ne sera donc pas un de ses grands films politiques comme ont pu l’être State Legislature (2007) ou At Berkeley (2013). Mais, de manière inattendue chez un cinéaste qui a toujours fait passer la substance avant la forme, un poème élégiaque sur un monde qui lui est étranger : une succession de séquences paisibles qui égrènent les moments d’une vie en apparence harmonieuse, sûrement un peu ennuyeuse, entrecoupée de plans d’une stupéfiante beauté volés à l’horizontalité infinie de la plaine qui s’étend autour de la ville (un carrefour en plein champ évoque irrésistiblement La Mort aux trousses, d’Hitchcock, sauf qu’on attendra toujours Cary Grant et l’avion). Rien qui fasse couler l’adrénaline, mais une patience et une exigence qui finissent par produire autant de pensées et d’émotions que la dissection politique à laquelle on aurait pu s’attendre. Thomas Sotinel

Documentaire américain de Frederick Wiseman (2 h 23).

« Je vois rouge » : journal intime sur le passé communiste

Je vois rouge - Bande-annonce VOSTFR
Durée : 01:54

Bojina Panayotova est une femme d’origine bulgare, installée en France depuis l’âge de 8 ans, après que ses parents ont émigré à la faveur de la chute du mur de Berlin. Un jour, bien plus tard, s’avisant que lesdits parents, aujourd’hui séparés, venaient d’un des pires systèmes politiques inventés à des fins d’empoisonnement de l’humanité et que, parallèlement, s’ouvraient en Bulgarie les archives de la redoutable police secrète communiste, l’envie d’un voyage au pays des ancêtres la saisit, histoire de rapprocher un peu ces deux événements. Formellement, cela donne un maelström d’images puisées aux sources les plus diverses (films et photos familiales, documents d’archives, conversations sur Skype, écrans d’ordinateur…), soufflant sur le film à 100 à l’heure, souvent en split screen (écran divisé en multiples fenêtres).

Exigeant d’abord que ses parents aillent demander aux archives l’existence d’un dossier les concernant, la réalisatrice, caméra à la main, les pousse rapidement dans leurs retranchements, les filmant sans leur consentement ou recourant à des caméras cachées. Le père, las d’expliquer à sa fille qu’il a droit, comme tout le monde, à son jardin secret, finit par l’insulter. La mère, en revanche, se prête à sa demande et revient des archives avec, sous le coude, un dossier qui la désigne non pas comme suspecte, mais comme informatrice du régime.

L’un dans l’autre, on va au bout de ce film avec un sentiment de gêne croissant, qui tient autant à la manière vindicative dont il traite ses personnages qu’à l’autocritique auquel il se livre dans le même temps en nous montrant l’espèce de folie inquisitrice qui s’empare, ce faisant, de la réalisatrice. Il n’en demeure pas moins passionnant et annonce un goût de fiction appelé à s’épanouir. Jacques Mandelbaum

Film français de Bojina Panayotova (1 h 24).

« La Miséricorde de la jungle » : l’après génocide rwandais

LA MISÉRICORDE DE LA JUNGLE - Bande-Annonce VF
Durée : 01:37

Au Rwanda, il s’est tourné, depuis le génocide de 1994, nombre de films évoquant la tragédie. Mais, à ce jour, ceux que les spectateurs des festivals internationaux et des salles d’art et d’essai ont vus ont été l’œuvre de cinéastes britanniques, belges, français ou haïtiens. Présenté à Toronto, La Miséricorde de la jungle – qui ne met pas en scène l’extermination des Tutsi, mais plutôt l’interminable réaction en chaîne qu’elle a déclenchée – est le premier film à s’aventurer sur la scène internationale réalisé par un Rwandais, Joël Karekezi.

A la fois film de guerre et de survie, La Miséricorde de la jungle voudrait embrasser la complexité d’une histoire dont chaque repli cache des abysses, à travers les figures du film de genre. Servi par des acteurs remarquables, Joël Karekezi ne parvient pourtant que par intermittence à mener à bien ce projet, entravé à la fois par son ambition et, sans doute, par son manque de moyens.

En 1998, alors que l’alliance entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda s’est désintégrée, laissant place à une guerre sans merci, une patrouille rwandaise chemine dans la forêt, quelque part dans l’est de la RDC. Un sous-officier de carrière, le sergent Xavier (Marc Zinga), et un conscrit, Faustin (Stéphane Bak), sont séparés de leur unité par la faute du premier. Les deux hommes sont isolés dans une région ravagée par les formations paramilitaires, alliées théoriques du pouvoir congolais, surtout préoccupées d’exploiter les ressources minières en réduisant les populations en esclavage. T. S.

Film rwandais, français et belge de Joël Karekezi. Avec Marc Zinga, Stéphane Bak (1 h 31).