Jeux vidéo : « Days Gone », zombies, motos et bikers sensibles
Jeux vidéo : « Days Gone », zombies, motos et bikers sensibles
Par Corentin Lamy
Peut-on encore faire un jeu en monde ouvert après « Red Dead Redemption II » ? Oui, répond « Days Gone », à condition de proposer une prise en main et une histoire plus sensible qu’il n’y paraît.
Devant la déliquescence du système ferroviaire de l’Oregon, Deacon St. John se félicite d’avoir opté pour la moto. / Sony
Test. Deux ans ont passé depuis la catastrophe qui a transformé la majeure partie de l’humanité en enragés décérébrés, errant désormais la nuit en hordes compactes et assoiffées de sang. Deux ans que Deacon St. John et son comparse, le très tatoué Boozer, sillonnent les routes du sauvage Oregon, coincé entre les Etats de Californie et de Washington.
Dans Days Gone, qui sort, vendredi 26 avril, sur PlayStation 4, les deux bikers survivent comme ils peuvent, multipliant les petits boulots pour les rares communautés humaines qui tiennent encore debout.
Classicisme nanar
Annoncé en 2016 par Sony, confié à un studio (Bend) jusqu’ici essentiellement connu pour ses jeux portables, Days Gone avait progressivement sombré, sinon dans l’oubli, du moins dans l’indifférence.
Comment, a priori, se passionner pour des héros crasseux, traqués par des zombies, des ennemis qui sont, dans les jeux vidéo, passés de mode depuis le début des années 2010 ? Comment passer après Red Dead Redemption II, ou même les derniers Assassin’s Creed, quand on propose, comme grammaire de jeu, un monde ouvert d’un classicisme absolu ?
Dans ce contexte, les deux premières heures de Days Gone sont assez peu rassurantes. Dirigiste, pas très joli, ni très propre, le jeu laisse entrapercevoir un univers un peu beauf, presque nanar, plein de grosses cylindrées et de gros muscles tatoués.
Pour tenir, on se dit que Days Gone va faire quelque chose de ces caricatures sur pattes de l’Amérique profonde, dont on devine qu’ils n’ont pas voté Hillary Clinton en 2016. Il y a en effet ici un terreau assez audacieux de personnages bourrins et bourrus, entourés de survivants white trash pas beaucoup plus recommandables, organisés par camps selon des idéaux politiques (les paramilitaires patriotes de Copeland, les esclavagistes de Mme Tucker…) pas franchement héroïques. Après tout, au cinéma, le film de zombies est à l’origine un film politique.
Eglises brûlées et bras coupés
Alors en attendant on s’accroche, et peu à peu, les choses se mettent en place. Malgré son monde ouvert et des quêtes secondaires déclinées à l’infini (vider des camps de pillards, libérer des otages), Days Gone arrive tout de même à se forger une identité propre en embrassant sa dimension post-apocalyptique.
La nuit, tous les zombies sont gris, mais, et c’est tout à fait cocasse, le jour aussi. / Sony
Ainsi, on ne jouera jamais un héros surpuissant, massacrant du zombie au bazooka, traversant des hordes de morts-vivants en Harley Davidson. La moto, notre allié le plus précieux, est aussi le plus fragile. Elle risque en permanence l’accident, ou la panne sèche.
Alors il faut la chouchouter, la surveiller, l’améliorer peu à peu, et l’entretenir bien sûr. Il faut être tombé au moins une fois en panne en pleine nuit, au milieu d’une forêt de conifères, pour comprendre de quoi Days Gone va être fait. Il faut avoir progressé à tâtons jusqu’à la station-service la plus proche, guettant les grognements de zombies, attendant planqué dans les hautes herbes qu’une horde s’éloigne, fouillant en silence les décombres d’une ville fantôme à la recherche d’un bidon de carburant et d’un peu de ferraille.
Simple à prendre en main, assez superficiel mais immédiat, Days Gone se défait de tout ce que les jeux de survie ont de laborieux et retrouve l’urgence inquiète des bons jeux post-apocalyptiques, nous obligeant à nous improviser pillard d’un monde mort pour prolonger, de quelques jours encore, sa propre vie.
Une ambiance sombre que Bend Studio est clairement allé chercher du côté des comics et de la série The Walking Dead. Ici on brûle des églises, on ampute des héros, et on répond à une question que pas grand monde ne s’est encore concrètement posée : existe-t-il des enfants morts-vivants, et est-il moral de leur fracasser le crâne ?
Deacon St. John au temps de l’innocence, quand il se coupait encore la barbe et de la lavande. / Sony
Plus moderne qu’il n’y paraît
Pour autant, Days Gone débarrasse rapidement les personnages principaux de toute ambiguïté pour en faire de bons samaritains. Le héros, Deacon St. John, s’avère être un motard au grand cœur, qui apparaît romantique (il veut retrouver sa femme, probablement morte), tolérant (il n’est pas raciste, explique-t-il à une amie bisexuelle : il a un très bon ami noir) et respectueux des femmes (en tout cas, il ne les tue pas lorsqu’elles sont désarmées).
De fait, c’est dans leur sensibilité que les personnages de Days Gone se révèlent. Loin de la noirceur désespérée du Rick Grimes de The Walking Dead, c’est en fait la lumière rédemptrice du Arthur Morgan de Red Dead Redemption II qui perce sous Deacon St. John. Un héros un peu hirsute, un peu bandit, un peu misanthrope, qui n’aime rien tant que chevaucher (ici mécaniquement) au milieu des splendides paysages d’un Ouest sauvage, mais qui est obsédé par les questions de l’amour et, surtout, de l’amitié.
C’est en nous parlant de l’humanité de ses personnages, en les rendant attachant, que Bend Studio accouche, finalement, d’un jeu plus moderne qu’il n’y paraît. Certes, après un Red Dead Redemption II, la narration de Days Gone paraît préhistorique, avec ses missions parfois répétitives, ses scènes cinématiques qui ôtent tout contrôle au joueur, sa volonté de faire disparaître tout silence et contemplation sous un déluge de communications radio.
Mais le jeu n’a pour autant pas peur de délaisser les zombies et les drames familiaux pour consacrer des heures, des dizaines d’heures peut-être, à l’arc narratif le plus inattendu de 2019 : celui de Boozer, le pote ex-taulard dont il faut remonter le moral à tout prix car il a perdu l’usage de sa moto, sa principale raison de vivre.
En bref
On a aimé :
- Les phases de survie et d’exploration
- S’attacher à sa bécane
- Remonter le moral au pauvre Boozer
On n’a pas aimé :
- Les quêtes secondaires (et quelques quêtes principales) déclinées à l’infini
- Quelques bugs, quelques erreurs d’affichage
- L’impression que Bend n’ose pas s’emparer totalement de son sujet
C’est plutôt pour vous si…
- Vous aimez la moto
- Vous aimez les zombies
- Vous aimez l’amitié virile qui peut parfois naître entre deux hommes confrontés à la fin du monde ainsi qu’à un grand nombre de motos et de zombies
Ce n’est plutôt pas pour vous si…
- Vous avez en horreur les motos, les vélos, les Vélib’ et les deux roues en général
- Vous en avez marre des zombies
- Vous en avez marre des mondes ouverts
La note de Pixels
2 873 189 zombies écrasés/4 191 573