ulien Stéphan, l’entraîneur du stade rennais, lors de Nîmes-Rennes, le 9 avril. / PASCAL GUYOT / AFP

La dernière fois, c’était en 1971. Assis dans un fauteuil en simili cuir du centre d’entraînement du Stade rennais, Julien Stéphan hoche la tête, s’y replonge. Le technicien n’était pas né – il fêtera ses 39 ans en septembre –, mais il connaît l’histoire de son club, et cette date. 1971, l’année du dernier trophée remporté par les Rouge et noir. C’était la Coupe de France. Et c’était il y a très longtemps. L’entraîneur breton mesure forcément l’impatience de ses supporteurs, qui rêvent de goûter à l’ivresse d’un nouveau sacre à l’heure de défier, samedi 27 avril en finale de la Coupe de France, le Paris-Saint-Germain, quadruple tenant du titre.

« Nous aurons affaire à une équipe archifavorite. Une victoire [de Rennes] serait un tremblement de terre. Une incroyable performance, résume Julien Stéphan, entraîneur le plus jeune en exercice en Ligue 1. Mon travail avant la finale ? Rassurer les joueurs. Rappeler nos belles victoires. Appuyer sur nos forces pour moins nous focaliser sur l’adversaire. » En Bretagne, il s’est déjà taillé une réputation de faiseur de miracles. Les supporteurs l’ont érigé en Garry Kasparov du ballon rond, dont les pièces d’échecs seraient ses joueurs.

Ces derniers aiment féliciter ses « plans tactiques » ayant mené aux victoires européennes notamment : qualification inespérée en 16e de finale de Ligue Europa face à Astana, étincelante victoire sur le Bétis Séville, épatante prestation (3-1) contre Arsenal lors du match aller des 8es de finale avant une élimination logique à Londres… Stéphan se dandine, mal à l’aise. Ton monocorde, il réoriente les projecteurs sur ses athlètes, « les premiers artisans des succès » : « Je me méfie des louanges. Notre société et le monde du football en particulier peuvent détruire ce qu’ils ont encensé quelques instants plus tôt. J’ai été happé dans cette aventure toute neuve. »

Apprentissage express

Lorsqu’en décembre 2018, il est promu à la tête du Stade rennais en remplacement de Sabri Lamouchi, Julien Stéphan dirige l’équipe réserve. Seuls les jeunes de l’effectif professionnel connaissent cet éducateur en poste au centre de formation depuis 2012. Les cadres du vestiaire découvrent celui que Thierry Henry a tenté de débaucher comme adjoint lors de sa prise de fonctions à Monaco quelques semaines plus tôt. Le président du Stade rennais lui donne une poignée de matchs pour faire ses preuves, et deux jours pour préparer sa première rencontre à Lyon.

Ça passe ou ça casse pour ce technicien qui ne peut s’appuyer sur la légitimité d’une carrière de joueur professionnel. Plus connu parce qu’il est le fils de Guy Stéphan, adjoint historique du sélectionneur Didier Deschamps en équipe de France, l’ancien milieu de terrain a été un bon élément de CFA (4e division nationale) « compensant sa lenteur par sa technique, son sens du jeu et du placement » selon son ex-entraîneur à Saint-Brieuc, Pierre-Yves David.

Dès sa prise de fonctions, Stéphan a séduit ses joueurs par son ambitieux projet de jeu inspiré par ceux de Pep Guardiola (Manchester City) ou Jürgen Klopp (Liverpool). « Le football doit être un spectacle provoquant des émotions. Qu’est-ce que le public attend ? Des buts. Pour y parvenir, il faut bien défendre pour mieux attaquer, insiste-t-il. Avec l’effectif à disposition, j’avais la conviction que cette philosophie de jeu était rapidement atteignable. »

Deux succès plus tard, et sa courte période d’essai est validée, comme si son président, Olivier Létang, savait déjà où il voulait aller avec son coach. Le novice est confirmé à son poste jusqu’en juin 2020. Rennes vit un hiver heureux, réussissant notamment une série de quatre victoires consécutives en L1, décrochant des qualifications pour le tour suivant dans les deux Coupes nationales, ainsi qu’en Ligue Europa.

Un management à l’affect

Avec ses airs de gendre idéal, rasé de près et régulièrement vêtu d’une chemise immaculée, Stéphan cache son jeu, celui d’un management à l’affect. « Sportivement, j’ai parfois été en difficulté sous ses ordres mais, humainement, il m’a toujours tiré vers le haut. Il trouve les bons mots pour que l’on pénètre sur la pelouse motivés et déterminés », se souvient Maxime Fleury, ancien pensionnaire du centre de formation rennais évoluant désormais à Cholet en National (3e division nationale). Pour dépeindre l’âme de manager du technicien, l’attaquant rejoue cette causerie précédant la finale du Championnat de France amateur en 2017.

Plutôt que de rabâcher ses consignes, Stéphan retrace le parcours de Fleury et de deux autres partenaires portant pour la dernière fois le maillot rouge et noir. Dans la pièce, les anecdotes provoquent larmes et reniflements. « Les joueurs ayant obtenu leur contrat professionnel n’avaient pas le droit de perdre. On devait offrir ce titre à ces trois garçons méritants, se rappelle Stéphan. La notion de groupe est fondamentale pour être compétitif. Les grandes victoires n’existent pas sans unité. »

En prenant les rênes d’un groupe de l’élite, où les ego prennent parfois une place débordante, il a pu d’emblée mesurer le bien-fondé de ses principes, mais aussi l’importance de s’y tenir. Comme ce jour où Hatem Ben Arfa, ancien du PSG et imprévisible star de l’effectif breton, a séché une mise au vert. Un « épisode désormais oublié », réglé avec « fermeté, transparence et cohérence ». « Chacun de mes choix a des conséquences. Je ne suis pas sûr de toujours prendre les bonnes décisions. J’assume. Je suis là pour trancher, explique-t-il encore. Et puis, moi aussi, j’apprends. La gestion des émotions notamment. Seule l’expérience du haut niveau va me permettre de mieux maîtriser cet aspect du travail. »

Le haut niveau, Stéphan va s’y frotter, samedi au Stade de France, contre un PSG revanchard, à peine auréolé de son huitième titre de champion de France, et qui se doit de finir sa saison avec un doublé Coupe-championnat pour s’éviter une nouvelle crise de croissance. « Je ne veux pas être perçu comme l’ambassadeur d’une nouvelle génération d’entraîneurs. Mon début de carrière est trop neuf pour que je revendique quoi que ce soit, précise encore le Rennais, vingt semaines d’exercice pour trente rencontres toutes compétitions confondues. Je préfère le pragmatisme au rêve. Le présent au futur. Je veux profiter des moments à vivre plutôt que d’en espérer d’autres. C’est ma manière de me protéger. »