« En Espagne, les indépendantistes catalans peuvent chercher à monnayer leur soutien cher »
« En Espagne, les indépendantistes catalans peuvent chercher à monnayer leur soutien cher »
Le premier ministre socialiste Pedro Sanchez a remporté dimanche les élections législatives, sans atteindre la majorité nécessaire pour gouverner seul. Sandrine Morel, journaliste au « Monde », a répondu aux lecteurs du Monde.fr.
Des partisans de la Gauche républicaine catalane (ERC), le 28 avril à Barcelone. / Emilio Morenatti / AP
Pedro Sanchez, le premier ministre socialiste, sort vainqueur des législatives. Son parti, le PSOE, est arrivé en tête dimanche avec 28,7 % des suffrages. A 53 sièges de la majorité absolue, le PSOE va devoir choisir entre chercher des alliances ou tenter de gouverner seul. Le parti d’extrême droite Vox fait son entrée au Parlement, avec 24 députés et 10 % des voix.
Gilles : Pourquoi parle-t-on du besoin nécessaire des Catalans pour former un gouvernement ? Une union avec les petits partis, dont les basques semble suffire… Y a-t-il une impossibilité pratique à cette union sans les catalans ?
Sandrine Morel : Même en ajoutant les voix de Podemos, le parti nationaliste basque (PNV, modéré) avec lequel les socialistes ont coutume de s’allier, des partis régionalistes de Coalition canarienne, d’un député de Cantabrie, d’un autre du parti valencien Compromis, il manque une voix aux socialistes pour obtenir la majorité absolue. Une seule. Le parti Bildu de la gauche abertzale, héritier de la vitrine politique du groupe séparatiste basque ETA, n’est pas un allié envisageable pour les socialistes pour des raisons historiques. Il reste donc les indépendantistes catalans…
Madrid : Pourquoi une alliance PSOE-Ciudadanos n’est-elle pas envisageable ?
S. M. : Cette alliance est tout à fait envisageable. En 2016, de fait, Pedro Sanchez a signé un accord d’investiture et de gouvernement avec Ciudadanos, très complet qui a démontré leur capacité à se mettre d’accord. Cependant, pour des raisons stratégiques et électorales, Ciudadanos a mis un veto à un accord avec Sanchez. L’objectif d’Albert Rivera est de remplacer le Parti populaire comme principal parti du centre droit. Il préfère donc mener l’opposition et continuer à affaiblir le PP plutôt que de laisser le PP l’exercer seul. Politiquement, il justifie ce veto par la politique de dialogue menée par Pedro Sanchez avec les indépendantistes catalans.
Francomtois : N’y a t-il pas de parti écologiste en Espagne ?
S. M. : Le parti Vert est Equo. Il est inclus dans la coalition Unidas Podemos. Pedro Sanchez peut compter sur les nationalistes basques du PNV et le parti valencien Compromis sans aucune difficulté, et probablement aussi Coalitions canariennes. Il devrait aussi pouvoir compter sur la Gauche républicaine catalane (ERC), parti indépendantiste dont la ligne est plus pragmatique qu’Ensemble pour la Catalogne (JxC) de Carles Puigdemont.
wesh : En ces temps où les nationalismes sont exacerbés, existe-t-il en Europe un autre exemple de pays où un parti socialiste est encore dominant ? Comment se fait-il qu’il le soit en Espagne ?
S. M. : Oui, le Portugal. En Espagne, le PSOE est parvenu à résister à la montée de Podemos en menant une profonde rénovation menée par Pedro Sanchez, qui est parvenu à changer l’image vieillissante du parti en se rebellant contre les élites dirigeantes du parti. Il a bénéficié du rejet importé dans la société espagnole de la position de Podemos sur la question catalane (favorable à un référendum) et des divisions internes et erreurs des dirigeants de la gauche radicale. Il a aussi eu la chance de voir Ciudadanos abandonner l’espace du centre pour rivaliser avec le PP à droite.
Romain : Pouvez-vous nous rappeler l’itinéraire de Pedro Sanchez ces dernières années ? J’ai cru comprendre qu’il s’était opposé vivement à la direction du PSOE sur l’alliance avec Podemos…
S. M. : C’est plus compliqué que cela. Pedro Sanchez avait besoin du soutien de Podemos et des indépendantistes catalans en 2016 pour former une majorité au Parlement. La direction du PSOE s’est opposée à des négociations avec les partis séparatistes, qui exigeaient déjà un référendum d’autodétermination. Elle a voulu imposer à Pedro Sanchez de soutenir l’investiture du conservateur Mariano Rajoy, afin d’éviter de nouvelles élections. Mais Pedro Sanchez s’y est opposé avec une formule devenue célèbre : « non c’est non ». Les barons du parti l’ont forcé à la démission et il s’est représenté aux primaires du parti, huit mois plus tard, et les a remportées…
Gino : Etant donné l’absence de majorité, peut-on imaginer de nouvelles élections dans quelques mois comme en 2015-2016 ?
S. M. : C’est tout à fait possible. Cependant, aucun parti n’est garanti d’en sortir renforcé. Bloquer une majorité est un jeu dangereux et peut coûter cher, comme l’a vu Podemos, qui avait perdu un million de voix entre 2015 et 2016 alors qu’il pensait que la répétition électorale lui permettrait de faire un sorpasso au PSOE. Cependant, si les indépendantistes catalans exigent des contreparties importantes à leur soutien, il n’est pas impossible que le blocage conduise à de nouvelles élections. Si on observe l’expérience de 2016, le PSOE pourrait peut-être en ressortir renforcé, au détriment de Ciudadanos et Podemos.
Citoyen Pol : Quelle est la position de Pedro Sanchez sur l’évolution du statut de la Catalogne ? Cela conditionne-t-il une alliance avec les indépendantistes catalans ?
S. M. : Pedro Sanchez est opposé à tout référendum d’autodétermination en Catalogne. Il défend une reprise du dialogue pour régler d’autres demandes des indépendantistes en matière d’investissement, d’infrastructures, de compétences. Il défend une solution de la question territoriale par la rédaction d’un nouveau statut d’autonomie par le Parlement catalan. Il est évident que les indépendantistes catalans peuvent chercher à monnayer leur soutien cher.
Delphine : Quel avenir pour Carles Puigdemont, qui vient d’être interdit de se présenter aux européennes ?
S. M. : S’il rentre en Espagne, il sera arrêté, puisqu’il se trouve sous le coup d’un mandat d’arrêt de la justice espagnole pour la tentative de sécession d’octobre 2017. S’il reste en Belgique, il est condamné à être peu à peu oublié en Catalogne. Le résultat de son parti, hier, est le symptôme de sa perte de poids comme référence morale de l’indépendantisme, au profit d’Oriol Junqueras. Il a créé un Consell de la Republica en Belgique, mais qui est une coquille vide.
Victor : Les cinq séparatistes catalans en prison élus députés pourront-ils participer aux débats au congrès et s’exprimer lors des votes ?
S. M. : Le tribunal devra décider comment ils peuvent exprimer leur vote. Par expérience, ils devraient être obligés à déléguer leur vote à d’autres députés pour qu’ils l’exercent par procuration et ne pas pouvoir participer aux débats. Mais c’est à la justice de trancher.
Solal : Pourriez-vous nous parler de la position de Vox par rapport au franquisme ? La question de la mémoire de cette période a-t-elle été abordée pendant cette campagne ?
S. M. : Non, elle n’a pas été abordée durant la campagne, mis à part les références de Vox dans les meetings à la loi de mémoire historique qu’il veut supprimer. Vox ne s’inscrit pas dans une continuité du franquisme. Il se définit comme un parti démocratique et pioche son influence dans les partis populistes modernes. Cependant, sa vision nationaliste et catholique de l’Etat espagnol, son discours sur les forces de « l’anti-Espagne » qui menacerait le pays, sa revendication de la « grande Espagne » des rois catholiques et de la Conquista et de la Reconquista et sa position sur la recentralisation totale de l’Etat rappelle certains postulats du franquisme…