LA LISTE DE LA MATINALE

« Une amie de la famille », de Jean-Marie Laclavetine, Gallimard, 192 p., 18 €. / GALLIMARD

Au programme de la semaine : une enquête fouillée sur l’affaire Florence Cassez, cette Française qui fut condamnée à 60 ans de prison pour kidnapping au Mexique et libérée en 2013 ; le nouvel ouvrage de Bret Easton Ellis, l’auteur de American Psycho, entre autobiographie et chronique médiatique ; les souvenirs de l’écrivain Jean-Marie Laclavetine ; une BD sur la vie de pacha d’un chien ; un essai sur le cinéma du journaliste et critique Jean-Louis Comolli.

RÉCIT. « Un roman mexicain. L’affaire Florence Cassez », de Jorge Volpi

Vrais bandits ou coupables idéaux ? Arrêtés en 2005 pour kidnapping, Israel Vallarta et Florence Cassez ont alors contre eux tout un pays excédé par la spirale de violence dans laquelle s’est enfoncé le Mexique

Mais sont-ils responsables des crimes dont la justice, la police et les médias les accusent, avant tout jugement ? Relevant les nombreuses failles du dossier d’instruction, l’écrivain Jorge Volpi signe une enquête rigoureuse où il confronte chaque pièce aux témoignages souvent contradictoires des multiples protagonistes de l’affaire.

Dense, minutieux, voire obsessionnel dans sa volonté de démontrer l’innocence des suspects, le récit affronte les opacités d’un pays en proie à une corruption généralisée.

Qu’il examine la personnalité de l’« impulsive » Florence Cassez ou les revirements de son ancien amant dans ses dépositions, ce récit documentaire confirme l’appétence de Volpi pour les personnages complexes. Il s’intéresse ainsi au rôle trouble d’un homme d’affaires, Eduardo Margolis, ancien membre supposé du Mossad, qui pourrait s’être vengé du clan Vallarta en livrant le couple à la police. La thèse, défendue par le romancier, a de quoi prêter à controverse, mais elle est significative du climat mexicain, avec ses règlements de comptes quotidiens et la paranoïa de ses habitants. Ariane Singer

« Un roman mexicain. L’affaire Florence Cassez » (Una novela criminal), de Jorge Volpi, traduit de l’espagnol (Mexique) par Gabriel Iaculli, Seuil, 384 p., 22 €.

« Un roman mexicain. L’affaire Florence Cassez », de Jorge Volpi, traduit de l’espagnol (Mexique) par Gabriel Iaculli, Seuil, 384 p., 22 €. / SEUIL

CHRONIQUE. « White », de Bret Easton Ellis

« Je n’ai jamais voulu être un vieux schnoque qui se plaint de la nouvelle vague de progéniture supplantant la sienne », écrit Bret Easton Ellis dans White (« blanc »), texte situé à mi-chemin entre la confession et le pamphlet.

Il serait étrange, c’est vrai, d’imaginer le toujours fringant quinquagénaire – l’auteur de Moins que zéro (Christian Bourgois, 1986) et d’American Psycho (Salvy, 1992), qui incarna, en son temps, toute l’arrogance juvénile de la « génération X » – en vieux censeur fulminant contre une jeunesse égarée. D’ailleurs, la question posée dans White est justement celle-ci : qui, au juste, sont les réactionnaires aux Etats-Unis actuellement ?

La réponse est, bien sûr, troublante et polémique. L’ennemi pointé du doigt par Ellis n’est pas tant ces « autres » diabolisés, ni leur fer de lance, un Donald Trump savoureusement décrit comme une « brute vulgaire en manque d’affection, avec une coiffure dingue et la peau orange », mais bien les amis d’hier, les semblables, ces « progressistes » urbains, généreux et éduqués, victimes de ce qu’Ellis diagnostique comme une « épidémie de supériorité morale ».

Bret Easton Ellis s’était forgé une image d’écrivain provocateur. Une figure un peu différente se fait jour ici. Non plus l’agitateur professionnel, un rien opportuniste, mais un esthète, anticonformiste malgré lui. White propose une traversée des cinquante dernières années à travers la question de la transgression et des « sensibilités », articulant autobiographie et chronique médiatique. Adrienne Boutang

« White », de Bret Easton Ellis, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Guglielmina, Robert Laffont, « Pavillons », 312 p., 21,50 €.

« White », de Bret Easton Ellis, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Guglielmina, Robert Laffont, « Pavillons », 312 p., 21,50 €. / ROBERT LAFFONT

RÉCIT. « Une amie de la famille », de Jean-Marie Laclavetine

C’est un rêve à la frange du réveil. Tenace. Impossible à chasser. Jean-Marie Laclavetine est installé à la terrasse d’un café. Sur le trottoir, en face, une femme le regarde. Elle porte une robe blanche d’été. Tout à coup, elle fait signe à un enfant qui passe. Quand le gamin arrive de l’autre côté, il tient dans ses mains un bouquet de fleurs blanches. La femme a disparu. Est-ce à cause des Roses blanches, la complainte chantée par Berthe Sylva ? Jean-Marie Laclavetine est convaincu que l’inconnue est sa mère, morte quelques années avant.

Mais sur une photo retrouvée, il va s’apercevoir qu’il s’agit, en fait, de sa sœur Annie. Vêtue exactement comme dans le rêve, au mariage d’une amie. Sa sœur, qui périra noyée lors d’une promenade, en 1968, emportée par une vague sous ses yeux et ceux de son fiancé.

Une amie de la famille est un livre d’une folle intimité. Une enquête obstinée et patiente. Tant pour retrouver ce qui s’est réellement passé lors de cette tragédie que tous ont voulu oublier, que pour rendre aux siens une jeune fille de 20 ans à laquelle le chagrin leur avait interdit de penser. Ce sont des souvenirs arrachés au silence, des lettres, des photos (encore), des amis retrouvés. Des mots d’amour aussi. Et des aveux très simples. De ceux qui rendent le cœur léger. Xavier Houssin

« Une amie de la famille », de Jean-Marie Laclavetine, Gallimard, 192 p., 18 €.

« Une amie de la famille », de Jean-Marie Laclavetine, Gallimard, 192 p., 18 €. / GALLIMARD

BD. « Le Chien de la voisine et le retour du chien de la voisine », de Sébastien Lumineau

Quel ennui, la vie pavillonnaire. Et quelle poisse d’avoir pour voisin un chien fougueux qui fait peur aux enfants, sous le regard désinvolte de sa maîtresse.

La meilleure chose à faire est sans doute d’aller se plaindre auprès de l’intéressée, sauf que la maîtresse en question est plutôt jolie, très jolie même. Devant elle, l’homme n’ose pas dire le fond de sa pensée, s’enfonce dans un silence assourdissant, malgré les promesses tenues auprès de sa propre femme.

Le cabot, lui, prénommé Fido, mène une vie de pacha dans la maison voisine, entre visionnage de films d’horreur, trempette dans la baignoire et câlins protecteurs auprès de sa maîtresse, de plus en plus sexy au fil du récit.

Tout le jeu des non-dits et des petits renoncements du quotidien se met en place dans cet assemblage d’historiettes « improvisées », selon son auteur, Sébastien Lumineau, dans les pages d’un fanzine au début des années 2000. Une mise en scène à la tension palpable et un dessin économe, comme jeté sur la nappe en papier du repas dominical, ajoute au spleen périurbain. Frédéric Potet

« Le Chien de la voisine et le retour du chien de la voisine », de Sébastien Lumineau, L’Association, 120 p., 15 €.

« Le Chien de la voisine et le retour du chien de la voisine », de Sébastien Lumineau, L’Association, 120 p., 15 €. / L’ASSOCIATION

ESSAI. « Cinéma, numérique, survie. L’art du temps », de Jean-Louis Comolli

A quoi n’a pas touché cet homme-orchestre qu’est Jean-Louis Comolli (né en 1941) ? Cochons les cases. Journaliste et critique, réalisateur de fiction et de documentaires, mais aussi théoricien du cinéma dans plusieurs volumes d’importance parus chez Verdier depuis 2004 (Voir et pouvoir ; Cinéma contre spectacle ; Corps et cadre ; Daech, le cinéma et la mort), où se déploie une pensée percutante sur le sujet.

Son nouveau livre, Cinéma, numérique, survie, peut être lu comme un compendium des principaux concepts de son œuvre. L’idée est tranchante : aucune technologie n’est neutre, toutes sont le produit du système dont elles émanent.

Appliquant ce précepte à la fabrication contemporaine des images, Comolli pointe leur empire proliférant, grâce à l’essor inexorable du numérique, dans un foisonnement qui œuvre autant, sinon davantage, à notre aliénation qu’à notre émancipation. Contre cette nouvelle loi qui fait du visible le vecteur d’une consommation idolâtre du monde, l’auteur en appelle aux vertus pérennes du médium cinématographique.

Le cadre et le cache, le hors-champ, la construction d’une place critique pour le spectateur, pris entre croyance et doute, la conscience, en un mot, d’un mystère du monde où nous ne tenons pas toute la place, deviennent ici autant de garde-fous à l’accélération folle du temps, à la fausse transparence, à l’accessibilité trompeuse du monde suggérée par le regard omnipotent qui le transforme à mesure qu’il le consume en déchet. Il en va donc, ainsi que le suggère le titre de l’ouvrage, de notre propre survie. Jacques Mandelbaum

« Cinéma, numérique, survie. L’art du temps », de Jean-Louis Comolli, ENS Editions, « Tohu bohu », 208 p., 20 €.

« Cinéma, numérique, survie. L’art du temps », de Jean-Louis Comolli, ENS Editions, « Tohu bohu », 208 p., 20 €. / ENS EDITIONS