Espoirs et mirages de l’agriculture connectée
Espoirs et mirages de l’agriculture connectée
Par Julia Zimmerlich (Villeneuve-lès-Maguelone (Hérault)
Reportage au Mas numérique, laboratoire vivant de la viticulture 4.0 situé dans l’Hérault, à l’occasion des Rencontres économiques et sociétales d’Occitanie (RESO) sur le futur de l’emploi à l’heure de la transformation numérique, le mardi 14 mai 2019, à Montpellier.
le premier capteur sur les feuilles est un capteur de chrolophylle et de flavonol des feuilles. Il mesure la quantité de chrorophylle dans les feuilles et permet de détecter des stress (hydrique ou carence azoté de la vigne). Le capteur intègre une puce GPS pour pouvoir faire des mesures en parcelles. / Mas Numérique
« Bonjour, risque mildiou sur la parcelle A. Mardi 23 avril. » Il est 8 heures et le responsable du Mas numérique de SupAgro Montpellier vient de recevoir un texto d’alerte. Installé sur le domaine du Chapitre, à Villeneuve-lès-Maguelone (Hérault), le Mas numérique est un laboratoire vivant de la viticulture 4.0, porté par une quinzaine d’entreprises partenaires. Ici il n’y a pas encore de robot cueilleur ou de tracteur autonome, mais des outils numériques déjà commercialisés et mis à l’épreuve de la réalité du terrain. « Il ne faut pas croire que le numérique va régler tous les problèmes de l’agriculture, pose d’emblée Thomas Crestey, responsable du site, mais le potentiel est important. Notre cheval de bataille, c’est d’être réalistes et de trouver des solutions accessibles et simples pour aider les agriculteurs et les former. »
La station météo, plantée en plein milieu du domaine, fait partie des outils connectés emblématiques de l’agriculture numérique, de plus en plus adoptée par les agriculteurs. Elle calcule en permanence la température, l’hygrométrie, la pluviométrie, l’humectation des feuilles… Des données précieuses qui permettent d’alimenter un algorithme de calcul de risque de développement des maladies de la vigne. Mais aussi de mesurer précisément la vitesse du vent et de respecter la réglementation qui impose de ne pas traiter au-dessus de 19 km/h.
Précision et tâtonnement
Dans « la réserve phyto », un boîtier permet de scanner tous les produits utilisés chaque jour. Un gain de temps considérable pour les agriculteurs qui doivent faire une déclaration pour chaque traitement. Du fait des multiples réglementations et obligations, plus de la moitié consacrent entre 5 et 10 heures par semaine aux démarches administratives, selon un baromètre Terre-net Bva réalisé en 2015. « Le boîtier est ensuite embarqué dans le tracteur avec une balise GPS, ce qui permet de suivre précisément si les traitements ont bien été effectués et les zones traitées, détaille Thomas Crestey. Ce type d’outil est très précieux pour alléger la charge de travail des agriculteurs tout en répondant aux attentes de traçabilité. »
Gagner en précision, la grande valeur ajoutée du numérique. Avec les objectifs du plan Ecophyto 2 de réduire de 50 % l’utilisation de pesticides d’ici 2025, les exploitations sont contraintes de réaliser des dosages toujours plus minutieux. Pour traiter l’équivalent de la surface d’un terrain de foot, l’équipe du Mas numérique applique une quantité de produits phytosanitaires qui tiendrait dans une canette de soda. Les tracteurs doivent ensuite rouler à 5 km/h sans excès de vitesse pour appliquer la même quantité partout. « L’opinion publique est vent debout contre les pesticides, mais il faut comprendre la réalité de l’agriculteur, poursuit Thomas Crestey. La transition ne peut pas se mener en deux ans. Nous procédons par tâtonnements et surtout nous travaillons avec le vivant. En agriculture nous n’avons qu’un seul essai par an. Le numérique va nous permettre d’accélérer la transition, mais ça n’est pas une baguette magique. »
Ici, comme dans de nombreuses exploitations viticoles, les tracteurs ont plus de 20 ans. Dans ces conditions, comment répondre à ces objectifs de précision sans de lourds investissements dans des machines dernier cri ? L’équipe de Thomas Crestey mise sur de petits objets connectés. Sur le tracteur un débitmètre et un GPS ont été installés. Le conducteur peut suivre sur son smartphone si le flux d’épandage est constant et la vitesse de 5 km/h respectée. Des capteurs ont été ajoutés sur les tracteurs pour alerter le chef d’exploitation toutes les 200 heures d’utilisation afin de procéder à sa révision. Un moyen simple d’anticiper les casses machines.
Des solutions multiples
Mais pour voir tout le potentiel de l’agriculture numérique, il faut se tourner vers les autres filières. « Dans les grandes cultures et surtout l’élevage bovin, [ces outils] sont plus répandus dans les usages, juge Guillaume Vigneron, ingénieur innovation chez Smag, un éditeur de logiciels pour l’agriculture partenaire du Mas numérique. La filière viticole est la dernière à [les] intégrer. » Selon les chiffres de l’Observatoire des usages de l’agriculture numérique, 77 % des éleveurs de vaches laitières utilisent des outils numériques pour la gestion de la reproduction.
Face à cette explosion de solutions numériques, les agriculteurs pointent le manque de communication entre les outils. « Ils sont parfois obligés de rentrer plusieurs fois les données dans différents outils, ce qui est une perte de temps considérable, pointe Guillaume Vigneron. L’objectif est de faire communiquer les solutions ensemble. On voit aussi apparaître le métier de designer UX et UI dans notre secteur pour simplifier les interfaces, les rendre plus ergonomiques. » Côté recrutement, tous les professionnels espèrent que le développement des nouvelles technologies va susciter des vocations. « Il y a un décalage important entre la représentation du métier d’agriculteur et la réalité, regrette Thomas Crestey. C’est un métier de terrain, humain, cyclique, varié, en pleine mutation. Là où les produits phytosanitaires permettaient de ne pas trop comprendre ce qui se passe aux champs, il va falloir des têtes pensantes pour analyser les données et prendre les bonnes décisions. »
Le programme RESO 2019
Les 1res Rencontres économiques et sociétales d’Occitanie (RESO) se tiendront mardi 14 mai 2019, de 9 heures à 17 h 30, au Corum de Montpellier, place Charles-de-Gaulle, 34000 Montpellier. Entrée libre sur inscription (laregion.fr/reso2019#Inscriptions).
Conférences, tables rondes et retours d’expériences exploreront le futur de l’emploi, des métiers et du travail à l’heure de la transformation numérique.
Tout au long de la journée, ouverte par Carole Delga, présidente de la région Occitanie/Pyrénées-Méditerranée, se succéderont :
– des dirigeants d’entreprises : Fabienne Dulac, (PDG Orange France), Nicolas Sekkaki (CEO IBM France), Pascal Demurger (PDG MAIF), Chantal Genermont (directrice du numérique d’Enedis) ;
– des acteurs de la recherche et de l’enseignement : Isaac Getz (ESCP Europe), Patrice Flichy (université Paris-Est-Marne-la-Vallée), Anne Lalou (Web School Factory), Jean-Patrick Respaut (université de Montpellier) ;
– des acteurs de l’économie sociale et solidaire : Laurence Grandcolas (MySezame), Jean-Louis Kiehl (Fédération française des associations Crésus), Léa Zaslavsky (Makesense) ;
– des acteurs de l’emploi et de la vie économique : Fabienne Arata (LinkedIn France), Alain Roumilhac (Manpower France), Camille Morvan (Goshaba), Bruno Grandjean (Alliance industrie du futur) ;
– des start-up de la région Occitanie.
En conclusion, conférence d’Etienne Klein sur « IA et éthique ».
Dossier réalisé en partenariat avec la Région Occitanie.