Polémique autour du mandat d’arrêt contre Alain Soral
Polémique autour du mandat d’arrêt contre Alain Soral
Par Jean-Baptiste Jacquin
Le parquet conteste la légalité de la mesure contre le polémiste condamné pour négationnisme. Des associations antiracistes dénoncent un « Munich judiciaire ».
Contrairement à ce qu’a décidé le tribunal de Paris le 15 avril, Alain Soral n’ira pas en prison. En tout cas, pas tout de suite. Le parquet de Paris a fait appel du mandat d’arrêt que la 13e chambre du tribunal correctionnel avait délivré à l’encontre de l’essayiste d’extrême droite à l’occasion de sa condamnation à un an de prison ferme pour négationnisme. M. Soral n’était pas présent à son procès et ne s’y était pas fait représenter par un avocat, pas plus qu’il n’était venu pour entendre le jugement. Ce n’est pas la première fois qu’il est condamné pour des propos ou des écrits antisémites, mais aucun mandat d’arrêt n’avait à ce jour été délivré contre lui. En attendant que la cour d’appel de Paris examine le dossier, le parquet ne mettra pas à exécution le mandat de dépôt.
Le parquet estime que ce mandat d’arrêt « est dépourvu de base légale ». Le tribunal l’a pris en référence à l’article 465 du code de procédure pénale selon lequel les juges peuvent assortir une condamnation à de la prison ferme d’un mandat d’arrêt (lorsque le condamné n’est pas présent à l’audience) « s’il s’agit d’un délit de droit commun ou d’un délit d’ordre militaire ». Or, fait-on remarquer au parquet de Paris, M. Soral a été condamné pour un délit de presse, sur la base de l’article 24 bis de la loi de 1881 sur la liberté de la presse.
Plusieurs associations antiracistes dénoncent un « Munich judiciaire » dans une tribune publiée lundi sur le site Internet de L’Obs. Les signataires écrivent :
« Croyant protéger le droit, on finit par protéger les racistes et les antisémites de toute sanction effective et par organiser leur impunité »
Parmi ces signataires figurent Mario Stasi, président de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), Dominique Sopo, président de SOS Racisme, Sacha Ghozlan, président de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), et Pierre Mairat, coprésident du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP). En cause selon eux, l’analyse du parquet aux yeux duquel la condamnation de M. Soral pour contestation de crime contre l’humanité relèverait du « droit politique » et non du droit commun.
Absence de motivations
Ces associations condamnent doublement l’attitude du procureur de Paris, Rémy Heitz, sans le citer, alors qu’un appel n’est pas suspensif d’un mandat d’arrêt. Elles estiment que le polémiste aurait dû être interpellé séance tenante et incarcéré. Elles dénoncent « la violation du caractère non suspensif » de l’appel. Elles y voient une « voie de fait » qui rabaisse le parquet au rôle « de supplétif » des avocats de la défense. Le parquet défend sa position de ne pas mettre à exécution une décision qu’il estime illégale. La polémique est vive.
« Toutes les lois du pays demeureront décoratives si, alors que l’antisémitisme assassine de nouveau en plein Paris, le parquet de la République bataille pour faire relâcher les antisémites », notent les signataires.
C’est occulter le fait que le procureur ne fait pas appel de la condamnation à un an ferme. C’est le parquet qui avait engagé les poursuites contre M. Soral et requis à l’audience une peine de prison ferme.
Le problème dans cette affaire est que, trois semaines après sa décision, le tribunal n’a toujours pas communiqué aux parties le texte du jugement, ni même une copie de travail aux avocats comme il est d’usage. En l’absence de ses motivations, il est difficile d’analyser la décision.
Sur le fond, il s’agit d’une affaire gigogne. M. Soral était ici poursuivi pour négationnisme en raison d’un passage de la plaidoirie de son avocat dans une précédente affaire. Il a de fait été définitivement condamné à 10 000 euros d’amende pour avoir publié en 2016 sur son site Internet un dessin « Shoah où t’es », en référence à la « une » polémique de Charlie Hebdo après les attentats de Bruxelles, « Papa où t’es ? ». Mais M. Soral a mis en ligne en novembre 2017 la plaidoirie de son avocat, Damien Viguier, dans laquelle il justifiait, en citant le négationniste Robert Faurisson, les références aux tas de chaussures et de cheveux, à l’abat-jour et au savon qui figuraient dans le dessin attaqué. M. Viguier était ici poursuivi en tant que complice du délit constitué par la publication de ce texte par M. Soral condamné en tant qu’éditeur. L’avocat a été condamné le 15 avril à 5 000 euros d’amende. Son avocat Gérard Guillot y voit « une atteinte aux droits de la défense », estimant que la publication de plaidoirie est une tradition. MM. Soral et Viguier ont fait appel.
Alain Soral est poursuivi pour plusieurs autres publications à caractère antisémite. La cour d’appel de Paris doit ainsi rendre un arrêt jeudi pour un autre dessin jugé antisémite qu’il avait publié sur son site Egalité et réconciliation.