Arte, mardi 7 mai à 20 h 50, documentaire

Sur la file de droite des autoroutes européennes, notamment en Allemagne et en France qui sont au cœur de ce documentaire aussi instructif qu’inquiétant, des monstres de quarante tonnes roulent plus ou moins vite. Parfois, excédé par la lenteur du camion qui le précède, un chauffeur routier pressé par son patron de livrer en temps et en heure sa marchandise tente un dépassement qui provoque souvent des frayeurs pour les automobilistes roulant sur la file du milieu.

Autre effet dévastateur : un 40 tonnes détériore les routes 60 000 fois plus qu’un véhicule particulier…

Dangereux pour la sécurité routière, polluants car roulant au diesel, nuisibles pour la santé des riverains, provoquant parfois des embouteillages dantesques, les poids lourds sont pourtant toujours aussi nombreux sur les autoroutes. La raison en est simple : près de 80 % des marchandises transitent encore par voie routière ! Pourquoi ne pas privilégier ces transports par voie fluviale ou ferroviaire ? Tout simplement parce que le transport routier est (beaucoup) moins onéreux. En suivant le travail épuisant d’un routier polonais et celui de policiers chargés de la surveillance des poids lourds sur le réseau autoroutier allemand, en interrogeant des responsables politiques et syndicaux, et en présentant les alternatives possibles au transport routier des marchandises, ce documentaire dresse un tableau complet d’une situation alarmante.

Si l’on en est encore là en 2019, c’est aussi parce que les responsables politiques ont injecté des sommes conséquentes dans le réseau autoroutier, ces investissements massifs profitant également aux entreprises privées. « La voie de droite des autoroutes ressemble à un véritable entrepôt mouvant ! Et qui finance cette voie de circulation ? Le grand public, pas les entreprises », souligne l’eurodéputé allemand Michael Cramer (Les Verts). Autre effet dévastateur : un 40 tonnes détériore les routes 60 000 fois plus qu’un véhicule particulier…

Cadences infernales

L’auteur du documentaire pointe toutes les problématiques : le prix du diesel encore trop bas, les salaires des routiers venus des pays de l’Est scandaleusement faibles, les cadences réellement infernales avec une production et une livraison à flux tendu (« just in time »). Avec le boom des commandes sur Internet, pas de temps mort. Il faut livrer vite et à la date souhaitée par le client. Camarade routier, tant pis pour ta sécurité et ton temps de repos obligatoire…

Seul exemple vertueux : le système suisse. Sur les autoroutes helvètes, on croise peu de poids lourds

« Le transport routier des marchandises est trop bon marché en Europe ! », estime un membre de l’association Alliance pour le rail. Et pendant que les camions sillonnent l’Europe, pleins ou à vide, la commission des transports au Parlement européen tente de trouver une solution au fléau. Son objectif est de convertir, à l’horizon 2050, la moitié du transport de marchandises longue distance par voie fluviale ou ferrée. On en est loin et tant que le système routier sera favorisé fiscalement par rapport au transport ferré et fluvial, on n’y arrivera pas.

Seul exemple vertueux : le système suisse. Sur les autoroutes helvètes, on croise peu de poids lourds. Grâce à une politique des transports courageuse, durable et ancrée dans la Constitution depuis 1994, les Suisses protègent le milieu alpin en chargeant les camions… sur des trains. Evidemment, tout cela a demandé des investissements financiers lourds en termes d’infrastructures, mais le résultat est là : moins de pollution, plus de sécurité routière et des autoroutes où il fait bon rouler sans risquer de se cogner à un 40 tonnes en retard pour sa livraison.

Putains de camions. Les poids lourds en question, de Jens Niehuss (All., 2019, 90 min). www.arte.tv