Chine-Afrique : « Les nouvelles routes de la soie seront aussi militaires »
Chine-Afrique : « Les nouvelles routes de la soie seront aussi militaires »
Par Sébastien Le Belzic
Une semaine après le sommet de Pékin, 45 gradés africains se sont rendus sur des bases de l’Armée populaire de libération pour renforcer les liens avec les forces chinoises, observe notre chroniqueur.
Les présidents Xi Jinping (Chine) et Julius Maada Bio (Sierra Leone), à Pékin, le 30 août 2018. / POOL New / REUTERS
Chronique. L’Afrique a occupé tous les esprits lors du deuxième sommet des Routes de la soie, fin avril à Pékin. C’est en effet le continent qui accapare aujourd’hui l’essentiel des investissements et concentre les plus gros défis que pose ce gigantesque chantier d’infrastructures à l’échelle mondiale. Le chemin déjà parcouru est important, puisque sur les 54 pays du continent, seuls quinze ne sont pas encore membres du club des « nouvelles routes de la soie », alors qu’ils n’étaient que deux à en faire partie lors de son lancement, en 2013.
Plus de 3 000 projets d’infrastructures, 1 000 milliards de dollars de budget (soit près de 900 millions d’euros) et une montagne de dettes… Preuve que ce « piège de la dette », comme l’appelle la diplomatie américaine, est bien réel, le président chinois a dû annuler une bonne partie des créances, essentiellement en Afrique. Et ce n’est pas la première fois.
Entre 2000 et 2018, l’Afrique est en effet le continent qui a connu le plus de défauts de remboursements. Résultat : 72 cas d’annulations de dettes ont été recensés dans une trentaine de pays, représentant plus de 2,2 milliards de dollars de créances annulées par la Chine. En tête, le Cameroun, qui, depuis 2001, a connu quatre effacements de dettes, pour un montant total de 174 millions de dollars, dont 78 millions en 2019. La Zambie, le Ghana, le Soudan et le Zimbabwe figurent aussi parmi les pays africains les plus concernés par ces annulations de dettes chinoises, car ce sont également les pays les plus endettés et les plus fragiles sur le plan économique.
Si ces suppressions paraissent conséquentes, elles sont en fait trois fois moins élevées que celles consenties par la France… C’est peut-être ce qui explique que le sommet de Pékin a été l’occasion de signer une nouvelle série d’accords.
Une stratégie à long terme
La Chine fait mine d’avoir entendu les critiques. A ceux qui s’inquiètent du poids trop lourd de la dette, elle annonce une nouvelle feuille de route, ainsi que des chantiers plus respectueux des questions sociales et environnementales, plus d’ouverture dans les appels d’offres et davantage d’efforts pour lutter contre la corruption. Mais peut-elle réellement se mettre au diapason des normes internationales sans perdre tous les bénéfices d’un programme qui sert avant tout ses intérêts ? Neuf projets sur dix sont en effet réalisés par des entreprises chinoises et il serait bien naïf de ne pas voir que le président Xi Jinping pave ici les routes de ses grandes ambitions.
Pour Pékin, en effet, cette initiative s’inscrit dans une stratégie à long terme permettant d’asseoir le poids de la Chine en Afrique, tant au niveau économique que politique… et militaire. Une semaine après le sommet de Pékin, 45 représentants d’armées africaines ont ainsi participé – plus discrètement – à la deuxième rencontre militaire sino-africaine. Huit mois seulement après la première édition, les gradés du continent se sont rendus à Tianjin, Pékin et sur plusieurs bases militaires de l’Armée populaire de libération afin de renforcer les liens entre l’armée chinoise et les forces africaines.
Cela entre dans le cadre d’un projet encore secret de « routes de la soie de la sécurité » dans lequel la Chine et l’Afrique s’engagent à renforcer leur coopération et la sécurisation des chantiers d’infrastructures négociés en grande pompe une semaine plus tôt à Pékin. Une façon d’amener aussi des soldats dans les bagages des ouvriers chinois.
Sébastien Le Belzic est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica. info, un magazine sur la Chinafrique et les économies émergentes.