Voie ouverte à un référendum d’initiative partagée sur la privatisation d’ADP
Voie ouverte à un référendum d’initiative partagée sur la privatisation d’ADP
Par Manon Rescan
Dans une décision historique, le Conseil constitutionnel a validé l’idée de soumettre au vote la cession d’Aéroports de Paris. La prochaine étape consistera à recueillir le soutien de 4,7 millions de Français.
La décision est historique, presque inespérée. Le Conseil constitutionnel a ouvert la voie, jeudi 9 mai, à une nouvelle étape en direction de l’organisation d’un référendum d’initiative partagée (RIP) qui pourrait empêcher la privatisation d’Aéroports de Paris (ADP). Les magistrats ont validé la proposition de loi référendaire, déposée par 248 parlementaires de tous bords politiques le 10 avril, qui entend « affirmer le caractère de service public national des aéroports de Paris-Charles-de-Gaulle, Paris-Orly et Paris-Le Bourget ».
S’ouvre une nouvelle étape du parcours d’obstacle conduisant à l’organisation d’un référendum : le recueil du soutien de 10 % des électeurs (4 717 396 de Français, précise la décision du Conseil constitutionnel) à cette proposition qui doit s’effectuer dans un délai de neuf mois. Le recueil commencera à la parution d’un décret gouvernemental, un mois maximum après la parution de cette décision au Journal officiel. Il sera organisé par le ministère de l’intérieur, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, par voie électronique, sur un site Internet spécial.
Puissant revers pour l’exécutif
Cette grande première sur le plan institutionnel depuis l’inscription du RIP dans la Constitution, en 2008, est aussi un puissant revers pour l’exécutif. Celui qui voulait voir aboutir rapidement cette privatisation voit son projet risquer d’être repoussé d’autant et menacé de finir dans une impasse. Emmanuel Macron se trouve de plus mis en échec par son opposition de droite et de gauche, dont l’alliance inédite a permis d’atteindre pour la première fois le seuil des 185 parlementaires nécessaire pour déclencher une telle procédure.
Ceux-ci ont saisi l’opportunité politique de ce sujet devenu très populaire dans le cadre de la crise des « gilets jaunes », le renoncement à la privatisation d’ADP s’étant petit à petit installé comme l’une des revendications du mouvement, s’appuyant sur le douloureux souvenir de la privatisation des autoroutes. Politiquement, pour le gouvernement, c’est la double peine : non seulement le déclenchement de cette étape met un coup d’arrêt à son projet, mais la phase de recueil des signatures va ouvrir neuf mois d’une campagne politique pour ou contre le chef de l’Etat, sur fond d’opposition à la privatisation.
Reste que le référendum est encore loin d’être en vue : même si le seuil des 4,7 millions de signatures est atteint, le Parlement peut, dans un délai de six mois, se prononcer sur la proposition de loi. Si l’Assemblée nationale et le Sénat mettent le texte à leur ordre du jour, alors il n’y aura pas de référendum. Mais si seule l’une des chambres se prononce, ou aucune d’entre elles, alors le président de la République sera tenu d’organiser le référendum. Un calendrier qui conduit au courant de l’année 2020.
Sur le plan institutionnel aussi, les enseignements de cette décision sont forts. Le Conseil constitutionnel est allé outre les réserves du gouvernement. Dans la contribution adressée par le premier ministre le 23 avril, ce dernier rappelait la grande proximité entre le vote du Parlement à ce sujet et le dépôt de cette proposition de RIP. L’article 11 de la Constitution précise en effet qu’un tel texte ne peut pas porter sur un sujet abordé dans une loi promulguée depuis moins d’un an. Or si la privatisation d’ADP est au cœur du projet de loi « Pacte » adopté définitivement le 11 avril, le texte est toujours en attente de promulgation. « A la date d’enregistrement de la saisine, elle n’avait pas pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an. Et aucune proposition de loi portant sur le même sujet n’avait été soumise au référendum depuis deux ans », précise le juge constitutionnel dans sa décision.
Le gouvernement avait lourdement insisté sur le risque que la validation d’une telle initiative ne revienne à opposer « les expressions de la souveraineté nationale exprimées par les représentants du peuple et par la voie référendaire ». En clair : que la remise en cause du vote du Parlement sur ADP ne fragilise la démocratie représentative pour se rapprocher de la démocratie directe. Un argument qu’avaient tenté de contrecarrer les députés socialistes, parmi les instigateurs de la proposition de RIP, dans leur propre argumentaire adressé aux magistrats. Ils y rappelaient que l’intervention du Parlement demeurait doublement prévue : en amont, par le soutien d’au moins 185 élus à la démarche, et en aval, par le fait que les deux chambres parlementaires pouvaient encore s’en saisir avant tout déclenchement d’un référendum. Les membres du Conseil s’en sont tenus à la stricte lettre de la Constitution.
Dans ses observations, le gouvernement contestait en outre la constitutionnalité du fond de la proposition de loi faisant d’ADP un service public national. Les juges de la rue de Montpensier n’ont pas tiré la même conclusion.