A Buéa, dans la région anglophone Sud-Ouest camerounais en octobre 2018. / MARCO LONGARI / AFP

La consultation est informelle et ne donnera lieu à aucune résolution, communiqué ou déclaration officielle. Cependant, pour la première fois depuis son éclatement en octobre 2016, la crise qui sévit dans régions anglophones du Cameroun sort de son huis clos domestique pour être abordée dans une enceinte internationale.

L’initiative de la réunion sur « la crise humanitaire au Cameroun », qui doit se tenir lundi 13 mai devant le Conseil de sécurité des Nations unies, a été portée par les Etats-Unis avec l’appui du Royaume-Uni, de l’Allemagne et de la République dominicaine. Comme Paris, Washington est un allié stratégique de Yaoundé, notamment dans la lutte contre les djihadistes de Boko Haram, mais, depuis près d’un an, la diplomatie américaine exprime à voix haute son inquiétude sur le conflit qui prévaut entre des groupes sécessionnistes et les autorités camerounaises dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.

En avril, Tibor Nagy, le « M. Afrique » de Donald Trump, a réitéré sa préoccupation pour « la guerre civile qui se déroule dans les faits » dans les parties occidentales du Cameroun, « où, fondamentalement, les anglophones se battent pour leurs droits (…) et où, malheureusement, le gouvernement n’a pas répondu d’une manière qui apaise les peurs des Camerounais ». Un mois plus tôt, le sous-secrétaire d’Etat américain aux affaires africaines avait été fraîchement accueilli à Yaoundé après avoir demandé la libération de l’opposant Maurice Kamto, arrivé second de la présidentielle d’octobre 2018 et emprisonné avec des centaines de ses partisans depuis fin janvier, et appelé à « un dialogue ouvert à tous » pour régler la crise anglophone.

Discrétion

Du côté du Palais d’Etoudi, où Paul Biya préside depuis trente-six ans aux destinées de son pays en se reposant sur de forts appuis étrangers tout en martelant une rhétorique nationaliste, cette volonté d’internationaliser la solution au conflit suscite une franche réprobation et quelques commentaires acerbes. « La situation au Sud-Ouest et au Nord-Ouest ne menace en rien la paix et la sécurité internationale. Il y a des gens qui s’ennuient, dont la mission est de distiller le pessimisme et l’anxiété à haute dose dès qu’il s’agit de l’Afrique », juge un très proche du chef de l’Etat. Selon cette source, le Cameroun est encore loin d’être isolé diplomatiquement. « Tous les pays d’Afrique et d’Asie trouvent assez curieuse la manière dont un certain pays veut amener cette affaire devant le Conseil de sécurité », dit-il. De bonne source, « l’Afrique du Sud a bataillé ferme contre la tenue de cette réunion ».

Le pouvoir camerounais trouve ses appuis parmi ses pairs africains, dont l’Union africaine, qui estiment que la crise et son règlement relèvent des affaires internes du Cameroun et qu’une diplomatie discrète vaut mieux que des dénonciations publiques ou des négociations sous supervision internationale. Alors que la relation s’est en apparence dégradée avec Washington – mais aussi avec l’Union européenne depuis que sa cheffe de la diplomatie, Federica Mogherini, a exprimé des griefs semblables à ceux de M. Nagy et que le Parlement européen a voté le 16 avril une résolution déplorant notamment « la violence et la discrimination à l’encontre de la communauté anglophone » –, Yaoundé et Moscou ont échangé quelques signaux amicaux.

Déjà, en décembre 2018, lorsque le Cameroun avait été évoqué lors de la présentation du rapport du secrétaire général sur l’Afrique centrale, la diplomatie russe avait exprimé ses vues, très proches de Pékin et des pays africains : « Il est important de ne pas dépasser la frontière entre prévention et intervention dans les affaires intérieures des Etats. Tout porte à croire qu’un certain nombre de nos collègues sont très proches de cela. Pour le moment, nous avons toutes les raisons de croire que le Cameroun est capable de résoudre ce problème épineux tout seul. Nous sommes disposés à aider, mais seulement si nos partenaires au Cameroun le jugent nécessaire. »

Paul Biya sait aussi pouvoir compter, in fine, sur la France pour s’éviter des condamnations publiques. A Paris, un diplomate s’inquiète de « l’escalade de la violence dans les régions anglophones », que « les durs du régime ont renforcé leur position après les élections » tout en estimant que « la situation est complexe » et que la discrétion demeure le meilleur moyen de faire évoluer Yaoundé.

Pistes de négociations secrètes

Sur le terrain, si le pouvoir continue de marteler que « la crise est en train d’être réglée », que « les indépendantistes n’existent plus sur le théâtre des opérations », remplacés par « des hordes de bandits », les deux camps n’ont pas cessé de se livrer à des exactions dont les civils sont les premières victimes. « Le gouvernement perd du terrain. Ses annonces de reprise en main de la situation ne sont qu’une illusion, relate le journaliste et coordonnateur de l’Anglophone General Conference, Elie Smith. Sur 110 km de route entre Bamenda et Kumbo, les villes et villages sont déserts, brûlés par l’armée. Ce sont les Amba Boys [les divers groupes indépendantistes] qui contrôlent les lieux. Les vols et les tueries des militaires servent à leur recrutement, mais eux non plus ne sont pas des anges. Ils rackettent et tuent tous ceux qu’ils soupçonnent de collaborer avec les autorités. Leurs nouvelles cibles sont les militaires, policiers et hauts fonctionnaires à la retraite. » Alors que les images de crimes et les appels à la haine pullulent sur les réseaux sociaux, l’organisation Human Rights Watch juge que la réunion devant le Conseil de sécurité « est une occasion de rappeler aux auteurs d’abus que le monde les observe ». Depuis fin 2016, les violences dans les régions anglophones ont causé la mort de 1 850 personnes et forcé plus d’un demi-million d’autres à fuir leur domicile, selon l’International Crisis Group.

Les pressions internationales, la crainte de voir la situation lui échapper davantage ont-elles poussé Paul Biya à se montrer moins intransigeant ? Depuis plusieurs semaines, le chef de l’Etat s’est montré particulièrement actif sur Twitter. Il y résume que « nos différences ne doivent pas nous éloigner les uns des autres », que « l’important, aujourd’hui, est de pardonner et d’oublier, de tendre ensemble vers un but commun », ou appelle encore à oublier « nos ressentiments, nos dissensions, nos divisions » : « Restons attachés à notre idéal d’unité et regardons l’avenir avec confiance. »

En tournée dans les régions anglophones, le premier ministre Joseph Dion Ngute s’est fait plus explicite vendredi en annonçant que « le président [l’]envoie dire aux populations du Nord-Ouest que, hormis la séparation et la sécession, tout sujet politique peut être discuté et il se prépare à le faire ». Selon une source impliquée dans les tentatives de résolution de la crise, alors que des médiations ont déjà été proposées par la communauté chrétienne Sant’Egidio et l’organisation suisse Centre for Humanitarian Dialogue, plusieurs pistes de négociations secrètes ont été ouvertes entre les services camerounais et des groupes indépendantistes. Avec quelle marge de manœuvre ? A la présidence, on répond avec un mystère savamment entretenu « explorer toutes les pistes de discussion mais que le dialogue n’est pas synonyme de négociations ».