Comment la suppression de l’ISF, la hausse de la CSG et le prélèvement à la source ont impacté la générosité des Français
Comment la suppression de l’ISF, la hausse de la CSG et le prélèvement à la source ont impacté la générosité des Français
LE MONDE ARGENT
Trois chamboulements fiscaux ont pesé l’an dernier sur les dons. Les ONG s’organisent pour mobiliser les donateurs et séduire les plus jeunes avec des moyens de collecte et de paiement nouvelle génération.
Fondations et associations d’intérêt général auraient, en 2018, collecté 4,2 % de moins qu’en 2017, selon le baromètre d’avril de France Générosités. La faute à une série de chamboulements fiscaux, selon les professionnels du secteur. Au premier rang desquels le passage de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) à l’impôt sur la fortune immobilière (IFI). L’avantage fiscal associé n’a certes pas disparu mais l’assiette de cet impôt ayant fondu, il est désormais moins couru. « Selon nos estimations, la perte de dons sur ce dispositif représenterait de 130 à 150 millions d’euros, environ la moitié de la collecte ISF de 2017 », détaille Nolwenn Poupon, de France Générosités.
La hausse de la CSG sur les pensions aurait également miné la collecte. « Nous avons reçu une dizaine de courriers par semaine de donateurs nous expliquant que 20 euros de moins par mois ne leur permettaient plus de nous accompagner », rapporte Stéphane Dauge, de la fondation Apprentis d’Auteuil. Pas anodin, vu le poids des retraités dans la collecte – quasiment 60 % des dons déclarés au fisc en 2018 au titre de la réduction d’impôt sur le revenu l’ont été par des plus de 60 ans. « La mise en place du prélèvement à la source a aussi joué, certains ont cru que la réduction d’impôt ne serait pas appliquée pour les dons 2018 », ajoute M. Dauge.
Face à ce contexte peu favorable, le secteur s’est efforcé de mobiliser les donateurs, expliquant qu’il n’y aurait pas d’année blanche pour les réductions d’impôt liées aux dons, et que, malgré les vicissitudes fiscales, les besoins des causes défendues ne faiblissaient pas. « Nous avons aussi porté auprès du gouvernement le projet d’acompte », souligne Mme Poupon. Début septembre 2018, il a en effet été annoncé que les contribuables ayant profité d’une baisse d’impôt grâce à des dons effectués en 2017 toucheraient 60 % du montant de cet avantage fiscal en janvier 2019, en guise d’avance pour les dons consentis en 2018. Une initiative qui a pu rassurer sur la prise en compte des montants versés en 2018 malgré le prélèvement à la source.
A noter que la baisse moyenne cache des résultats contrastés. La collecte grand public a par exemple chuté de 19 % pour les Apprentis d’Auteuil et 45 % de perte ont été déplorés par Caritas. En revanche, elle a stagné à la Fondation de France, qui a par ailleurs connu une bonne année en matière de créations de fondations abritées (trente-sept nouvelles). Chez Greenpeace, ainsi que pour d’autres défenseurs de l’environnement, les dons ont augmenté.
Des dons en hausse pour Greenpeace
Les structures les plus affectées sont celles éligibles au don IFI et les fondations d’utilité publique. « Mais, même si elles ne reçoivent pas de dons IFI, nombre d’associations ont été touchées par ricochet, celles qui reçoivent des montants importants de fondations », précise Benoît Miribel, du Centre français des fonds et fondations.
A l’inverse, Greenpeace explique sa hausse de 10 % des dons (hors legs) et de son nombre de donateurs par une « mobilisation de la population pour l’environnement et le climat ». « Nous ne sommes en outre pas concernés par l’IFI et avons été peu touchés par la hausse de la CSG, note Marie-Eve Lhuillier, directrice de la collecte de fonds, car les seniors ne pèsent pas autant qu’ailleurs dans notre collecte. Autre force : 90 % des dons proviennent pour nous de prélèvements automatiques. »
Instrument crucial pour les acteurs du secteur, le prélèvement mensuel leur permet de mieux prévoir leurs recettes. D’importants moyens sont donc consacrés pour convaincre les donateurs de s’engager dans la durée, notamment avec la collecte en face à face – rue, centres commerciaux, festivals, etc.
Dons en cryptomonnaies
Autre enjeu : le renouvellement du panel de donateurs. La mue progressive des modes de collecte, en lien avec les évolutions sociétales et technologiques, se poursuit. Avec surtout, depuis fin 2017, la possibilité pour les ONG de lever des fonds directement sur Facebook, grâce à l’apparition du bouton « Faire un don », et pour les utilisateurs de ce réseau social d’organiser eux-mêmes des cagnottes en leur nom. « La générosité doit s’ancrer dans leurs usages, affirme Sébastien Lyon, directeur général d’Unicef France. Nous nous penchons donc sur tous les moyens de paiement alternatifs. »
Si la collecte par SMS, possible depuis 2016, n’a pas répondu aux espoirs, la « générosité embarquée », notamment les arrondis sur les achats et les salaires, semble plus porteuse. Ont été collectés l’an dernier, aux caisses des supermarchés et boutiques, 2,2 millions d’euros et quasiment un million d’euros sur les salaires, selon Microdon. Autre forme de collecte nouvelle génération, le don dit « gratuit ». Un exemple : vous acceptez de visionner une publicité pour une montre sur le site Goodeed, et la marque s’engage à soutenir financièrement un projet des Restos du cœur.
Plus innovant encore : la campagne Game Chaingers, lancée début 2018, à destination des joueurs sur PC, par l’Unicef, les incitant à « miner » la cryptomonnaie ethereum (c’est-à-dire à mettre leur ordinateur à disposition de la blockchain servant à valider les transactions, contre rémunération) et à lui transférer leurs gains. Récolte : 30 000 euros. Depuis septembre, l’Unicef accepte en outre les dons dans neuf cryptomonnaies, bitcoin inclus. « Les nouveaux moyens constituent pour l’heure de 2 % à 3 % de notre collecte », indique M. Lyon.