Céline Forte et ses filles, le 3 décembre 2018, lors d’un hommage à Frédéric Forte. / PASCAL LACHENAUD / AFP

« J’ai horreur de la lumière. » L’affirmation peut paraître pour le moins paradoxale de la part de quelqu’un qui a tout fait, depuis l’automne 2018, pour se propulser à la tête du Limoges Cercle Saint-Pierre (CSP), l’un des clubs les plus puissants du basket français, sous les projecteurs depuis sa première victoire européenne en 1982 mais aussi en raison de ses fréquents soubresauts internes.

« Je n’avais pas du tout pensé à cette lumière qui se ferait », assure toutefois Céline Forte en ce mardi 21 mai. Quelques minutes plus tôt, elle vient de présenter la nouvelle équipe dirigeante du club, qu’elle a mise en place au terme d’une offensive de plusieurs mois, très médiatisée. « Finalement, c’est obligatoire dans un premier temps. Je suis obligée de raconter l’histoire donc je serai forcément dans la lumière, mais c’est une violence pour moi », poursuit celle qui, à 48 ans, prend les commandes d’un club limougeaud au sein duquel elle avait accompagné son mari, Frédéric, dans une opération de sauvetage puis de reconstruction, entre 2004 et 2013, année de leur séparation.

Ces retrouvailles, pourtant, elle ne les avait pas prévues. Mais plusieurs mois après la mort de Frédéric Forte, dans la nuit du 31 décembre 2017, elle dit s’être rendue à l’évidence : « Au décès de Fred, je ne me suis pas intéressée au club car je me suis dit que [l’équipe de direction] avait été mise en place par lui, donc j’ai laissé faire car je pensais que cela marcherait », dit-elle au sujet des successeurs de Frédéric Forte, entre autres Youri Vériéras, Jean-Léonard Picot et Manuel Diaz.

« Petit à petit, les choses ont fait que cela n’était plus possible. J’ai eu le sentiment que, quand la tête pensante est partie, tout s’est écroulé. Il y a eu une fracture totale avec les partenaires, les journalistes, les supporteurs. C’était insupportable. J’ai dit les choses mais, à un moment donné, quand on ne vous entend pas alors que ça va au plus mal, stop ! »

« Elle est liée à la ville »

Pour comprendre cet attachement au club, il faut remonter dans les années 1990, une ère glorieuse sur le plan sportif pour le Limoges CSP. Frédéric Forte, meneur de jeu, en est alors l’un des emblèmes tandis que Céline, « excellente shooteuse à trois points », joue pour la section féminine du club. Normand d’origine, le couple fait partie des murs de la capitale de la porcelaine.

« Elle est liée à la ville », dit Chris Dussuchaud, l’ancien président du Limoges Avenir Basket Club (LABC), qui l’a recrutée, non sans mal, en 1995 : « Elle ne s’estimait pas au niveau, j’avais trouvé ça très humble. Quand elle voyait jouer les filles du LABC, elle pensait ne pas être en mesure de jouer à leurs côtés, mais elle est tout de même venue pour rejoindre ses amies que j’avais déjà recrutées. Elle s’est tout de suite fondue dans le groupe. »

Cette année-là est particulière pour Céline Forte, marquée au niveau sportif par la montée du club en NF1A, la première division de l’époque, et au niveau personnel par une grossesse. « Nous n’avions pas une grosse équipe en termes athlétiques mais nous jouions très intelligemment et nous étions très solidaires. Céline s’inscrivait dans ce cadre-là. Nous avions une super ambiance », se souvient Florence Le Quintrec, ancienne internationale et coéquipière. « C’est une femme très drôle, renchérit Cathy Bancarel, capitaine de l’équipe à l’époque, en même temps, c’est quelqu’un qui a le goût de la victoire, indéniablement. C’est une fille qui mouille le maillot. »

Le club des « Les Ultras Green » de Limoges, supporters de l’équipe de basket, le CSP Limoges.A l’occasion du match de l’Euroleague Limoges CSP- CEDEVITA Zagreb, à Limoges, le 24 octobre 2014.Photos Claude Pauquet/Vu pour Le Monde.Durant la rencontre, au Palais des sports de Beaublanc, à Limoges. / Photographer: Claude Pauquetmob

Avec Dacoury et Ostrowski

Repartie à Caen en 2013, après la séparation avec Frédéric, Céline Forte s’est reconvertie dans l’immobilier. Un domaine dans lequel elle s’est formée aux côtés d’une amie de longue date, Agathe Elmosnino. Celle-ci loue « son esprit d’équipe », mais aussi son calme : « Dans l’immobilier, on est plutôt sanguin et elle sait garder son sang-froid, c’est une qualité rare. »

Attachée à la capitale du Calvados et à son activité professionnelle, Céline Forte continuera d’y résider mais, selon ses proches, le Cercle Saint-Pierre est désormais « devenu sa priorité ». Quand on lui souffle que le choix de cet éloignement géographique peut impliquer de s’exposer aux critiques de l’exigeant public limougeaud, elle marque une pause et le reconnaît : « Je vais prendre des coups, ça fait partie du jeu, on est dans un club où il y a de l’ambition, une obligation de résultats mais peut-être que je serai blindée à ce moment-là. J’ai une équipe bien formée, complémentaire et pleine de compétences. Je serai connectée avec eux au quotidien de toute façon. »

L’équipe en question reflète la volonté d’un environnement de confiance. Au sein du directoire, on retrouve de nombreuses figures de la communauté limougeaude, tels Yves Martinez, ancien directeur international de l’entreprise Legrand, l’avocat Pierre Fargeaud mais aussi Claude Bolotny, ancien joueur et fondateur du centre de formation du Limoges CSP, ainsi que Stéphane Ostrowski et Richard Dacoury, eux aussi bien connus pour leurs exploits sous le maillot limougeaud.

Dans le conseil de surveillance figurent, entre autres, son frère Alexandre Gabriel, sa fille Angiolina Forte, le notaire Benoît Poiraud, investi dans son combat pour la succession, ou encore l’ancienne internationale et multiple championne de France Colette Passemard.

Sacerdoce ou non ? Céline Forte l’assure : sa tâche « ne [lui] fait pas peur ». Le fait d’être la seule femme à la tête d’un club professionnel de basket français ? Cela lui est « tombé dessus comme ça, insiste-t-elle. On me l’a dit, mais je n’avais pas du tout cette notion-là en tête. J’en suis honorée, vraiment. » Elle se sait d’autant plus attendue au tournant. Mais, si elle concède « avoir eu du mal à [se] mettre dans le rôle », elle se dit prête. Après tout, celui-ci ne lui est guère étranger, comme le rappelle Florence Le Quintrec : « Elle était déjà là en 2004. Reprendre le club, c’est la deuxième fois pour elle. »

Jérémy Le Bescont