L’OMS entérine la reconnaissance d’un « trouble du jeu vidéo »
L’OMS entérine la reconnaissance d’un « trouble du jeu vidéo »
Par William Audureau
Un an et demi après l’introduction controversée de sa définition, le « gaming disorder » a été officiellement adopté par l’Organisation mondiale de la santé.
Après des décennies de débat, la pratique excessive et déraisonnée du jeu vidéo a finalement été reconnue comme une pathologie à part entière. Ou plus exactement, comme un trouble, selon la terminologie suggérée en janvier 2018 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Elle a été officiellement adoptée samedi 25 mai par son assemblée, lors de l’approbation définitive de la 11e révision de la Classification internationale des maladies (CIM-11). Elle entrera en effet le 1er janvier 2022.
Selon l’OMS, le « trouble du jeu vidéo » se définit comme « un comportement […] qui se caractérise par une perte de contrôle sur le jeu, une priorité accrue accordée au jeu, au point que celui-ci prenne le pas sur d’autres centres d’intérêt et activités quotidiennes, et par la poursuite ou la pratique croissante du jeu en dépit de répercussions dommageables ».
L’institution des Nations unies (ONU) chargée des questions sanitaires précise que ce trouble « ne touche qu’une petite partie des personnes qui utilisent des jeux numériques ou des jeux vidéo. Néanmoins, tout joueur doit être attentif au temps passé sur les jeux, en particulier si ses activités quotidiennes en pâtissent, ainsi qu’à tout changement physique ou psychologique, sur le plan social et celui de sa santé, qui pourrait être attribué à un comportement de jeu ».
Plusieurs remises en question
En 2014, le « jeu pathologique » avait déjà été adoptée dans la 10e révision de la Classification internationale des maladies comme un « trouble consistant en des épisodes répétés et fréquents de jeu qui dominent la vie du sujet au détriment des valeurs et des obligations sociales, professionnelles, matérielles et familiales ». Il avait été classé dans les troubles des habitudes et des compulsions, aux côtés de la pyromanie et de la kleptomanie.
L’annonce par l’OMS, en 2018, d’intégrer le « trouble du jeu vidéo » à la liste des addictions dans sa Classification internationale des maladies, avait relancé un intense débat entre la communauté scientifique et le monde du jeu vidéo, qui regrette cette intégration.
Dans un communiqué diffusé le 25 mai en réponse à l’OMS, les représentants de l’industrie du jeu vidéo du monde entier ont ainsi appelé une nouvelle fois à revenir sur cette décision. « La notion de “trouble du jeu vidéo” de l’OMS ne repose sur aucune preuve suffisamment solide justifiant son intégration dans l’un des outils normatifs les plus importants de l’OMS. Une fois ajoutées à la liste, ces notions peuvent y rester, à tort, pendant des années », dénonce Simon Little, président-directeur général de l’Interactive Software Fédération of Europe (ISFE – Fédération européenne des logiciels interactifs), le plus grand lobby du jeu vidéo au niveau européen.
Le consensus est également loin d’être acquis dans le monde scientifique. En mars 2018, plusieurs chercheurs de l’Institut Trimbos (Pays-Bas), des universités d’Oxford, Johns-Hopkins, de Stockholm et de Sydney, avaient cosigné un article intitulé « A weak scientific basis for gaming disorder : Let us err on the side of caution » (« Une base scientifique faible pour le trouble du jeu vidéo : restons du côté de la prudence »). Ils y expliquent que si la pratique intensive du jeu vidéo peut dans certains cas s’accompagner de comportements sociaux dysfonctionnels, rien n’indique que le premier soit la cause du second.
« Une définition d’un comportement d’addiction centrée uniquement sur les jeux vidéo apparaît arbitraire, estime cette étude. Il manque une raison convaincante de se focaliser sur le jeu, plutôt que sur la myriade d’autres activités qu’un individu peut pratiquer de manière excessive. Nous reconnaissons que certains peuvent jouer de manière disproportionnée, de la même manière qu’ils peuvent avoir une pratique disproportionnée des réseaux sociaux, du travail, du sexe, du bronzage ou même de la danse », poursuit le texte, citant, à l’appui, plusieurs articles scientifiques sur les phénomènes d’addiction à ces autres activités.