Le roi des Belges avec Tom Van Grieken, le président du parti flamand d’extrême droite Vlaams Belang, le 29 mai. / PIROSCHKA VAN DE WOUW / REUTERS

Une poignée de main à peine entrevue, mais qui marque les esprits : la rencontre, mercredi 29 mai, du roi des Belges avec Tom Van Grieken, le président du parti flamand d’extrême droite Vlaams Belang (VB), était une première pour le monde politique au lendemain des élections fédérales et régionales du 26 mai.

Le roi Philippe, chef de l’Etat, a commencé ses traditionnelles rencontres d’« information » avec les responsables des différents partis pour sonder leurs intentions, avant de nommer une ou plusieurs personnalités chargées de préparer le terrain pour une possible coalition.

Très complexe en général, l’exercice sera pire encore cette fois, compte tenu des résultats de ce scrutin marqué par le creusement du fossé entre une Flandre nationaliste ancrée très à droite et une Wallonie résolument à gauche. Avec près de 20 % des suffrages et un nombre de députés passé de 3 à 18, le Vlaams Belang a été « le » vainqueur de cette élection : cette formation xénophobe et séparatiste est devenue la deuxième en Flandre derrière l’Alliance néoflamande (N-VA), nationaliste de droite, et la troisième du pays.

La dernière rencontre entre un membre de la dynastie et un dirigeant d’extrême droite datait de 1936

Le roi devait-il, dès lors, recevoir son représentant, ou s’en tenir à la doctrine du palais de Laeken qui, jusqu’ici, snobait une formation prônant la désintégration du pays et donc, aussi, la fin du régime monarchique ? Politiques, commentateurs et constitutionnalistes se divisaient sur cette question à forte connotation symbolique. Et historique aussi : la dernière rencontre entre un membre de la dynastie et un dirigeant d’extrême droite datait de… 1936. A l’époque, Léopold III, grand-père de Philippe, avait rencontré Léon Degrelle, dirigeant du parti Rex qui, pour sa première participation à des élections, avait bousculé les grands partis et obtenu 11,5 % des suffrages. Degrelle allait, plus tard, collaborer avec l’Allemagne nazie et rallier la Waffen-SS.

« Deux mauvaises options »

Autant dire que les conseillers politiques du roi ont retourné le problème dans tous les sens avant que le chef de l’Etat décide de cette rencontre. En réalité, il faisait face à « deux mauvaises options », comme l’a résumé Christian Behrendt, professeur de droit constitutionnel à l’université de Liège. Ne pas recevoir le VB, c’était laisser croire qu’il ne reconnaissait pas la légitimité des 810 000 Flamands qui ont apporté leur vote à ce parti. Et cela permettait aussi à M. Van Grieken de se présenter comme une victime du « système belge », présumé hostile à la cause flamande.

Le recevoir pouvait, en revanche, donner l’impression de rompre le « cordon sanitaire », un accord politique conclu dans les années 1990 pour isoler l’extrême droite et interdire toute coopération avec elle. C’est ce geste, lourd de sens, qu’a finalement décidé de faire le palais… et qui a entraîné un revirement du VB : il avait juré, en 2008, qu’un Flamand républicain ne pouvait que rejeter une invitation royale.

La neutralité liée à la fonction du chef de l’Etat au cœur du problème

La question de la neutralité, liée à la fonction d’un chef de l’Etat qui « règne mais ne gouverne pas », est au cœur du problème. L’historien flamand Mark Van den Wijngaert souligne ainsi, dans le journal De Standaard, qu’un refus de la rencontre aurait été une sorte de déclaration politique et donc une infraction au rôle de « médiateur » du monarque.

« Le simple fait que le président du Vlaams Belang puisse franchir des grilles de ce palais fait froid dans le dos, explique Maxime Prévot, président du Centre démocrate humaniste, qui juge cependant « difficile de blâmer le roi, étant donné les résultats dans le nord du pays ». Une analyse partagée par Jos Geysels, ancien élu écologiste flamand, pourtant auteur du texte qui a servi de base au « cordon sanitaire » : « Le roi doit inviter tous les partis qui ont des élus », a-t-il déclaré. Quant au premier ministre sortant, Charles Michel, il a appelé à « la sérénité » pour permettre au pays d’être encore gouverné.

« Agonie du modèle belge »

Laurette Onkelinx, ancienne ministre et numéro deux du PS francophone était, elle, très critique à l’égard du chef de l’Etat. « Ça me choque vraiment ! », a-t-elle expliqué, évoquant une attitude « dommageable » et soulignant que le roi n’était pas « le dos au mur », puisque beaucoup de partis avaient dit leur refus de gouverner avec le VB.

Sauf la N-VA. Si le parti de Bart de Wever s’est toujours montré très critique, voire méprisant à l’égard des extrémistes de la cause flamande, il a, lui aussi, décidé de le légitimer après son « carton » électoral, acquis en partie au détriment de la formation du maire d’Anvers. Prenant en main la formation du gouvernement régional de Flandre, M. De Wever a rencontré Tom Van Grieken.

Il adresse aussi une menace aux responsables francophones : s’ils refusent de confier les clés du pouvoir fédéral à sa formation, celle-ci pourrait quand même s’allier à un parti ouvertement séparatiste pour accélérer la destruction du pays… « On assiste, en réalité, à l’agonie du modèle belge », explique le Pr Uyttendaele :

« Avec une société flamande qui est à droite et parfois à l’extrême droite, et une société francophone qui est à gauche et parfois à l’extrême gauche, on ne voit pas très bien comment gérer l’intersection. »

La montée des partis protestataires au détriment des formations traditionnelles et la multiplication des différences entre Flamands et francophones permettent d’affirmer une seule chose : c’est une longue crise, très longue, qui attend le pays du roi Philippe.