« 11 fois Fatima » : l’expérience du pélerinage, une épreuve aussi physique que mentale
« 11 fois Fatima » : l’expérience du pélerinage, une épreuve aussi physique que mentale
Par Clarisse Fabre
Le réalisateur portugais João Canijo met en scène un groupe de onze femmes en route jusqu’au sanctuaire de Fatima.
Auteur de huit fictions et quatre documentaires, dont Sangue do meu Sangue (2011), Prix Fipresci au Festival de San Sebastian, le réalisateur portugais João Canijo a appris le cinéma comme assistant aux côtés de Manoel de Oliveira, Wim Wenders, Alain Tanner, Werner Schroeter, Paulo Rocha… Dans son dernier long-métrage 11 fois Fatima, il met en scène le dur chemin qui mène un groupe de pélerines à Fatima, ville située au centre du Portugal qui abrite le sanctuaire du même nom. Il explore la fragilité du groupe face à l’épreuve : 400 kilomètres dans les jambes avec pour seul filet une caravane et une infirmière, des émotions qui contrarient les femmes et les détournent de la communion annoncée – fatigue extrême, pieds meurtris, nerfs à fleur de peau, sentiment d’impuissance ou d’absurde…
11 fois Fatima commence sur la route, long plan séquence dans la brume où se détachent des silhouettes en gilet jaune fluo, grappe silencieuse de femmes tendues vers un seul but, le pélerinage, en hommage aux apparitions de la Vierge. La caméra s’approche de Cué (Anabela Moreira), un peu à l’écart, l’air buté de celle qui n’en fait qu’à sa tête. Les conflits sont déjà en germe, sans compter les différences de générations entre les habituées et les novices. Ana Maria (Rita Blanco) est la doyenne du groupe, la cheftaine intransigeante, revêche, pour qui atteindre la Vierge exige des sacrifices.
Dramaturgie née de petits riens
Pour endosser ce rôle délicat, le réalisateur a fait appel à une comédienne emblématique au Portugal, Rita Blanco, que l’on a vue dans Inquiétude (1998), de Manoel de Oliveira, et plus récemment dans Amour (2012), de Michael Haneke. On avait par ailleurs découvert Anabela Moreira dans le jubilatoire Diamantino (2018), de Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt, où elle jouait l’une des sœurs cruelles d’une star de football déchue (Carloto Cotta).
Les actrices de 11 fois Fatima (citons aussi Cleia Almeida, Vera Barreto, Teresa Madruga, Ana Bustorff…) font naître la dramaturgie de petits riens, confidences lâchées entre deux étapes, instants de relâchement à la nuit tombée, quand le corps se pose enfin pour se ravitailler. Au-delà de la foi, le groupe est le seul carburant de ces marcheuses. Qu’il vienne à exploser et c’est l’aventure qui échoue symboliquement. « Restons groupées ! Sinon ça n’a ni queue ni tête », lance l’une des femmes. Le film a des envolées lyriques qu’on peut ne pas aimer.
Le réalisateur a fait le choix de la durée (2 heures et 33 minutes), de la répétition des plans (bords de route, visages de profil) et du faux documentaire, pour faire saillir la performance et transmettre la sensation de vertige que procure l’expérience. Le pari n’est qu’à moitié réussi : à force de coller aux pélerines, le film manque de poésie, d’échappées visuelles (en dépit de beaux plans nocturnes dans la caravane) au point que l’impatience gagne parfois le spectateur, qui se demande, comme les femmes du groupe, quand elles vont finir par arriver…
Film portugais et français de João Canijo. Avec Rita Blanco, Anabela Moreira, Cleia Almeida (2 h 33). jhrfilms.com/prochainement