« Gainsbourg, art(s) et essai(s) » : musicien avec agrégation artistique
« Gainsbourg, art(s) et essai(s) » : musicien avec agrégation artistique
Par Catherine Pacary
Peintre éconduit, le musicien esthète s’est essayé à tout, comme le rappelle un documentaire réjouissant.
Serge Gainsbourg lors du tournage du film « Equateur », en février 1983. / LA PROD / CANAL+
Serge Gainsbourg voulait être un artiste « majeur », un peintre. Et non un artiste « mineur », qualificatif qu’il accolait à la chanson. Celle-ci lui apporta pourtant gloire et popularité. « La peinture coûte beaucoup d’argent. J’ai eu peur de cette bohème. » Comme son père, Joseph, Serge a renoncé. Toute sa carrière découle de cette vocation contrariée, comme le relate le documentaire réalisé par Vincent Perrot, dans le cadre d’un cycle consacré aux musiciens cinéphiles. Un petit bijou qui écarte le superficiel (la provo’ maintes fois ressassée) pour toucher à l’essentiel, à l’intelligence créatrice sous toutes ses formes.
« A 13 ans, mon père m’amenait dans son atelier. J’ai eu comme maîtres Charles Camoin, Fernand Léger… » Dans les années 1950, Serge Gainsbourg étudie l’architecture et la peinture. Parmi ses professeurs, le peintre et graveur André Lhote. Dali devient un ami, et Francis Bacon un modèle. Le jeune homme possède un joli coup de crayon, qu’il utilisera pour dessiner à l’encre de Chine les pochettes des disques Rock Around the Bunker (1975) et Amours des feintes (1990), « avec des pleins et des déliés. Comme dans la vie : il faut des pleins et des déliés ». Insuffisant toutefois pour en vivre.
« Un certain sens de l’esthétisme »
Ses débuts musicaux, on l’oublie souvent, sont laborieux. Il devra attendre Aux armes et cætera (1979) pour obtenir son premier disque d’or, à l’âge de 51 ans – Louis Chedid en rappelle abruptement la cause. De sa passion il conserve « un certain sens de l’esthétisme » qu’il va appliquer à l’écriture, la photographie, le cinéma – cet « art suprême » qui, a ses yeux, englobe tous les autres.
Animateur de radio, de télévision et fou de vitesse, Vincent Perrot est un autre éclectique. De même que ses invités, Philippe Labro (journaliste de presse, patron de radio, écrivain, cinéaste et parolier pour Serge Gainsbourg), Etienne Daho (chanteur, amateur d’art et de peinture), Just Jaeckin (sculpteur, photographe, peintre, cinéaste). « Serge attirait les personnalités comme celles-ci », rappelle, le 12 juin, l’animateur de RTL.
Le photographe William Klein, rarissime à la télévision, le publicitaire Jacques Séguéla, chacun révèle une facette de l’esthète, écrivain, poète, graphiste. Le cinéaste Georges Lautner n’en revient toujours pas de l’audace du Requiem pour un con (« pour un c… », sur l’affiche du film de 1968).
A l’aube de la quarantaine, Serge Gainsbourg rencontre sa muse, Jane. Elle lui inspire Histoire de Melody Nelson, magnifique symphonie pop de 1971, mais flop retentissant. « Les gens n’étaient pas prêts », résume le critique rock Philippe Manœuvre. Ce n’est pas grave. Melody Nelson est « quasiment un film », souligne Jane Birkin, et à ce titre s’inscrit dans la progression artistique de son pygmalion : le producteur Jacques-Eric Strauss lui propose de faire un vrai film ! « Gainsbourg était flatté, précise Vincent Perrot. Strauss, c’est quand même Le Clan des Siciliens, avec Gabin et Delon. » Ce sera Je t’aime moi non plus (1976), avec Jane Birkin et l’acteur warholien Joe Dallesandro. Chaque plan est conçu comme un tableau. La réalisation est exigeante.
« Serge n’a jamais voulu faire “moins” pour que les gens pauvres en culture puissent comprendre, commente Jane Birkin avec une syntaxe toute britannique. Il a toujours supposé que les gens étaient capables de comprendre et que le beau devait être à la portée de tous. » Une ambition majeure.
Gainsbourg, art(s) et essai(s), documentaire de Vincent Perrot (Fr., 2018, 50 min). Disponible à la demande sur MyCanal jusqu’au 8 juillet. Je t’aime moi non plus est programmé en première partie de soirée.