En Afrique, une urbanisation à géométrie variable
En Afrique, une urbanisation à géométrie variable
Par Amaëlle Brignoli
Le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest souligne la difficulté, pour les Etats comme pour les organismes internationaux, à s’adapter aux nouvelles formes de villes qui apparaissent de façon accélérée sur le continent.
La ville d’Onitsha, au Nigeria, compte 1 million d’habitants selon les autorités locales, 8,5 millions selon la base de données Africapolis. / Afolabi Sotunde / REUTERS
D’ici à 2050, les Africains seront deux fois plus nombreux. Et les villes seront aux avant-postes de cette révolution démographique qui verra le continent passer de 1,2 à 2,5 milliards d’habitants en trente ans. « Grosso modo, elles vont accueillir les deux tiers de cette croissance », résume Laurent Bossard, directeur du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO). Ce groupe, hébergé par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), à Paris, s’est réuni mercredi 19 juin pour débattre des défis posés par cette urbanisation galopante.
Un processus qui prend, en Afrique, des formes « nouvelles » et « contre-intuitives », décrit M. Bossard. Si, traditionnellement, l’urbanisation s’explique par un exode rural, dans certains pays africains, c’est justement la faiblesse de l’exode rural qui crée des agglomérations. Par exemple, au Niger, « la population des villages augmente tellement vite qu’ils se transforment en villes », explique le directeur du CSAO. Dans ce pays du Sahel dont la population sera multipliée par six en trente ans, six ou sept municipalités de plus de 10 000 habitants apparaissent chaque année.
Un peu partout, la différence entre villes et villages devient presque impossible à détecter. « Cela veut dire qu’il faut arrêter les politiques rurales et les politiques urbaines, pour aller vers des politiques de territoire qui soient intégrées », préconise M. Bossard.
Un phénomène sous-estimé
Paradoxalement, le phénomène de l’urbanisation a été longtemps sous-estimé en Afrique. Et pour cause : l’ONU ne recense que les villes de plus de 300 000 habitants, tandis que 97 % des cités africaines comptent entre 10 000 et 300 000 habitants. Les statistiques internationales ne répertorient ainsi que 225 villes en Afrique, contre plus de 7 500 pour Africapolis, une base de données géospatiale produite par le CSAO depuis 2013.
A l’échelle des pays également, « l’urbanisation traduite par les statistiques nationales est très en retard par rapport à la réalité », indique François Moriconi-Ebrard, président d’E-Geopolis, l’institut qui a mis au point Africapolis. C’est le cas de la République démocratique du Congo (RDC), qui recense 175 villes là où Africapolis en dénombre 575. « Et l’urbanisation est traitée par les stratégies politiques internes des Etats, sans aucun effort d’harmonisation », déplore le géographe.
Le risque est de concevoir des politiques basées sur les chiffres administratifs et déconnectées des réalités du terrain. Onitsha, dans le sud du Nigeria, en fournit un bon exemple. Ville de 1 million d’habitants selon les autorités locales, elle en compte 8,5 millions selon Africapolis et constituera dans trente ans une méga-agglomération de 50 millions de personnes. « La réalité, c’est qu’Onitsha a besoin d’un système de transport conçu pour une agglomération de 100 kilomètres de long, et pas seulement pour la ville qui est un bout de cette agglomération », insiste M. Bossard.
Autonomisation des femmes
Cette urbanisation accélérée comporte évidemment des risques, débattus au sein du CSAO. Certains mettent en exergue les conséquences environnementales d’un effacement du rural au profit de l’urbain. D’autres craignent « la fin de la solidarité africaine », à l’instar de l’architecte et anthropologue Koffi Sénamé. Pour creuser toutes ces problématiques, le club s’emploie à créer un réseau informel de chercheurs, élus locaux et responsables politiques nationaux.
Le rapport 2019 d’Africapolis sera présenté au prochain sommet de l’Union africaine, en juillet à Niamey, pour nourrir la discussion sur les liens entre urbanisation et développement. D’autant que l’urbanisation possède aussi son lot d’opportunités, comme celle de contribuer à l’autonomisation des femmes. Une citadine aura ainsi davantage accès à l’éducation et à la santé, tandis qu’une femme isolée dans le monde rural aura tendance à se marier plus jeune et à avoir plus d’enfants. « L’urbanisation accélérée peut contribuer à une diminution rapide de la fécondité et donc de la croissance démographique en Afrique », souligne M. Bossard.