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Le nouvel ennemi public du gouvernement italien est une Allemande de 31 ans, originaire de Basse-Saxe, polyglotte, spécialiste des albatros et des voyages polaires. Carola Rackete, la capitaine du Sea-Watch 3, croisait depuis deux semaines dans le canal de Sicile en attendant une autorisation de débarquer 42 migrants, secourus dans les eaux internationales le 12 juin. Mercredi 26 juin, en début d’après-midi, elle est entrée dans les eaux italiennes et a fait route vers Lampedusa, refusant d’obéir aux injonctions d’une vedette de la guardia di finanzia (police douanière et financière), qui lui demandait de cesser d’avancer.

Après quelques heures de navigation, la capitaine est arrivée en vue de l’île en début de soirée :

« Les autorités italiennes sont montées à bord et nous ont interdit de débarquer, raconte-t-elle. Ils ont contrôlé le bateau et les papiers des membres de l’équipage. Maintenant, ils attendent des instructions de leurs supérieurs. »

Aucun ordre précis n’est arrivé dans la nuit : le Sea-Watch 3, sa dizaine de membres d’équipage et ses 42 migrants ont donc passé la nuit à 3 milles des côtes de Lampedusa, attendant une autorisation d’entrer dans le port, qui n’est jamais arrivée.

Conséquences potentiellement terribles

Dans le message par lequel elle annonçait son intention de défier l’interdiction du gouvernement italien, Carola Rackete affirmait qu’elle « connaît les conséquences » de son geste. Celles-ci sont potentiellement terribles. Outre l’amende de 50 000 euros et la saisie du bateau, prévues par la dernière version du « décret sécurité » de Matteo Salvini, entré en vigueur au début du mois, la capitaine risque d’être poursuivie pour avoir favorisé l’immigration clandestine (passible de cinq à quinze ans de prison) et aussi pour résistance à un navire de guerre (dix années de prison selon le code de la navigation).

La guerre des nerfs entre le Sea-Watch 3 et le gouvernement italien a commencé le 12 juin, quand 53 personnes dérivant sur un canot pneumatique ont été secourues par le bateau humanitaire. Une fois l’opération terminée, les gardes-côtes libyens ont donné l’ordre de faire route vers Tripoli. L’équipage ayant refusé de suivre cette instruction, rappelant que celle-ci est contraire au droit international de la mer, qui impose de débarquer les naufragés dans un « port sûr » et que la Libye ne saurait être considérée comme tel, le Sea-Watch 3 était depuis cette date dans une situation de blocage absolu.

Pendant deux semaines, malgré les demandes de faire débarquer les naufragés, émanant du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, de l’Organisation internationale pour les migrations et l’offre de l’archevêque de Turin, qui avait proposé de prendre à sa charge l’hébergement des naufragés, le sort des passagers du Sea-Watch 3 est resté en suspens. Dès les premiers jours, une dizaine d’entre eux (trois mineurs, trois femmes dont deux enceintes, deux pères et trois hommes malades) ont été autorisés à débarquer pour raisons humanitaires, mais pour le reste, la situation semblait inextricable.

Fureur

Campant sur sa ligne d’absolue fermeté, Matteo Salvini a expliqué le fond de sa pensée, lundi sur Twitter : « L’Union européenne veut résoudre le problème Sea Watch ? C’est facile. Bateau néerlandais, ONG allemande, la moitié des migrants à Amsterdam, l’autre moitié à Berlin. » Une procédure d’urgence auprès de la Cour européenne des droits de l’homme ayant débouté l’équipage du Sea-Watch 3 de sa demande d’être autorisé à débarquer en Italie, Carola Rackete a donc décidé de passer outre.

Sa décision a provoqué la fureur de Matteo Salvini, qui a aussitôt dénoncé, dans une vidéo diffusée sur Facebook « une prétentieuse » qui « joue avec la vie des migrants ». Quelques heures plus tard, sur le plateau de la RAI, il ajoutait :

« Si tu es née blanche, riche et allemande et que tu veux faire du volontariat, fais-le en Allemagne, en aidant les vieux ou les handicapés. »

Dans la soirée, après une réunion orageuse au palais Chigi, siège du gouvernement italien, sont arrivées des menaces plus concrètes, en particulier celle de ne plus remplir les obligations d’enregistrement des demandeurs d’asile à leur arrivée sur le sol italien. Dans le même temps, le gouvernement italien laissait entendre qu’il était en train de chercher à étudier les moyens d’une procédure contre les Pays-Bas, accusés de s’être dérobés à leurs obligations (le Sea-Watch 3 bat pavillon néerlandais).

Pendant que la tempête faisait rage autour des 42 passagers du Sea-Watch 3, dix migrants venus de Tunisie, dont une femme et un enfant, sont arrivés sur l’île de Lampedusa dans la nuit de mercredi à jeudi. Ils se sont tranquillement arrêtés devant la capitainerie du port. Selon le maire de l’île interrogé par les médias italiens, ces derniers jours, environ 200 personnes sont arrivées, de la même manière, en toute discrétion et sans provoquer la moindre polémique.