Face à la canicule, une veille très inégale des villes auprès des personnes âgées
Face à la canicule, une veille très inégale des villes auprès des personnes âgées
Par Béatrice Jérôme
Les fichiers recensant les personnes les plus vulnérables, basés notamment sur ceux des aides sociales, sont plus ou moins incomplets selon les métropoles.
Dehors, le thermomètre tutoie les 35 degrés. Alors, « une centenaire qui dit qu’elle va très bien, ça donne la pêche ! », rit Margaret Babara-Touré, en soulignant au feutre jaune le nom de la vieille dame qu’elle vient d’avoir au bout du fil, ce 27 juin, à Paris. Puis elle décroche son combiné pour appeler la personne âgée suivante inscrite sur sa liste.
Comme sept autres agents en exercice ou retraités de la ville, la jeune femme s’est portée volontaire pour contacter les Parisiens de plus de 75 ans, les rassurer, les conseiller dans le cadre du plan Canicule. « On appelle la famille, les voisins, la gardienne jusqu’à ce qu’on réussisse à toucher la personne », explique André Paqueteau, animateur de la petite cellule, nichée près de l’Hôtel de ville. La loi du 30 juin 2004, consécutive à la canicule de 2003, oblige les communes à créer un fichier des personnes âgées susceptibles d’être contactées en cas de grosses chaleurs. Mais l’inscription est facultative. Et la loi est très inégalement appliquée selon les villes.
A Paris, le fichier, baptisé « Chalex » (chaleur extrême), comprend 8 000 noms. Chaque personne est contactée via une plate-forme téléphonique située dans les Hauts-de-Seine. Le téléopérateur transmet les noms des personnes qui n’ont pas répondu au bout de quatre tentatives à la cellule « NRP4 » (« Ne répond pas quatre fois »), dont fait partie Mme Babara-Touré. Les informations recueillies sur les cas préoccupants sont transmises à la « cellule de crise canicule ». Vendredi, aucun cas de détresse inquiétant n’avait encore été repéré. « Les personnes âgées connaissent de mieux en mieux les règles pour se protéger de la canicule, observe Michel Gallois, médecin bénévole à la cellule de crise. Mais il ne faut pas relâcher l’effort pour autant. »
En appelant les personnes âgées, « on est surtout confrontés à leur isolement », observe Cécile Renson, ancienne élue du 15e impliquée dans le dispositif. « Le fichier est un révélateur de solitude », analyse Patrick Milhe Poutingon, responsable de l’équipe chargée de repérer les personnes nécessitant une visite à domicile.
Même s’il est bien rodé, « le dispositif n’est pas un système de repérage assez efficace des personnes vulnérables », convient la mairie. Près de 8 000 personnes inscrites dans le fichier, c’est 5 % à peine des 170 000 Parisiens de plus de 75 ans. Le 10 juillet, Anne Hidalgo doit présenter au conseil de Paris de nouvelles mesures pour préparer la ville aux épisodes caniculaires de plus en plus fréquents, et pourrait suggérer une évolution de la loi de 2004.
Départements impliqués
A Marseille, on se montre plus satisfait. « On est assez fier de notre dispositif », s’exclame Sylvie Carrega, adjointe (LR) aux affaires sociales. Le fichier des personnes âgées recense près de 14 000 noms, soit 18 % des 77 000 Marseillais de plus de 65 ans. « On l’alimente grâce à un partenariat avec le syndicat des pharmaciens, les concierges d’immeuble, certains commerçants, le syndicat des infirmières à domicile qui nous font des signalements, explique l’élue. Certaines mutuelles ou caisses de retraite nous font passer leur fichier et on inscrit les gens sur le registre du Centre communal d’action sociale (CCAS). Ce qui fait qu’on a un vrai réseau ! »
A Lyon, le dispositif est beaucoup plus modeste. Sur 90 000 seniors de plus de 65 ans, 500 seulement figurent dans le registre du CCAS. La Métropole de Lyon a bien créé son propre fichier. Mais en 2018, elle n’a recensé que 2 500 appels. « Avec un échantillon aussi faible de personnes âgées repérées et suivies, on est comme le petit colibri qui veut éteindre tout seul le feu dans la forêt, regrette Zohra Aït-Maten, adjointe (PS) chargée des affaires sociales à la mairie de Lyon. Ne faudrait-il pas rendre l’adhésion au fichier obligatoire ? »
A Strasbourg, « on se consacre d’abord aux plus fragiles », explique le maire (PS), Roland Ries. Ainsi, 1 061 personnes sont inscrites dans le fichier du CCAS, « mais seules 250 sont appelées trois fois par jour par une dizaine d’agents bénévoles de la ville pendant la canicule ». A Grenoble, la mairie a adressé en début de semaine un message vocal aux 435 personnes qui figurent dans son fichier nominatif, alors que la ville compte 32 000 personnes de plus de 60 ans.
Certains départements s’impliquent depuis peu, aussi, dans la prévention. En Seine-Saint-Denis, les 7 000 personnes âgées abonnées au système départemental de téléassistance ont reçu un message de vigilance pendant la canicule. En Essonne, les 10 000 abonnés à la téléassistance ont été appelés pour s’assurer qu’ils vont bien. En Moselle, les agents départementaux prennent des nouvelles de leur public âgé le plus isolé. Mais ceux qui ne relèvent d’aucune aide sociale continuent d’échapper à tous les radars.