Le premier minsitre tunisien Youssef Chahed (au centre), près du lieu de l’attentat-suicide, du 27 juin à Tunis. / FETHI BELAID / AFP

Editorial du « Monde ». La coïncidence est purement fortuite mais elle a fait souffler à Tunis un vent d’inquiétude. La jeune Tunisie démocratique serait-elle plus fragile qu’il n’y paraît ? Jeudi 27 juin, un double attentat-suicide dans la capitale a causé la mort d’un policier et blessé huit personnes.

Le même jour, le président Béji Caïd Essebsi, âgé de 92 ans, était subitement hospitalisé pour « malaise grave ». De ces deux mauvaises nouvelles, les Tunisiens s’alarment de la seconde plus que de la première. C’est qu’ils ont déjà connu bien pire en matière d’attentats.

L’année 2015 avait été particulièrement dramatique. La « série noire » des attaques contre le Musée du Bardo, à Tunis, contre une station balnéaire de Sousse, dans l’est du pays, et contre un bus de la garde présidentielle au cœur de la capitale avait fait un total de soixante-seize morts (dont quatre kamikazes). Depuis lors, la Tunisie a recouvré une incontestable sécurité. Le plus dur est passé, même si les fidèles de l’organisation Etat islamique (EI), qui ont revendiqué l’ensemble de ces attaques, tentent de frapper à nouveau de manière épisodique.

De mesquins calculs partisans

L’hospitalisation du chef de l’Etat présente un risque d’une tout autre nature, mais non moins préoccupant. Au palais présidentiel de Carthage, on s’efforce de rassurer l’opinion publique en laissant entendre que l’état de santé de M. Essebsi est en voie d’amélioration. Il faut l’espérer, pour la pérennité du processus démocratique tunisien, à quelques mois d’un double scrutin législatif et présidentiel.

Il s’agira de la seconde consultation présidentielle et de la troisième élection parlementaire depuis le fameux « printemps tunisien » de 2011. Autant dire que ce rendez-vous est crucial afin d’enraciner la démocratie en Tunisie, alors que la vague des révolutions arabes s’est soldée par des échecs partout ailleurs.

Si l’on s’alarme tant autour de la santé du président de la République, c’est parce qu’une éventuelle incapacité à gouverner de sa part pourrait placer le pays face à un périlleux vide politique. La Cour constitutionnelle, la seule instance habilitée à constater une vacance définitive du pouvoir et donc à encadrer juridiquement le processus de succession, n’a toujours pas vu le jour. La Constitution, adoptée en 2014, a pourtant déjà 5 ans d’âge.

Cette carence, due à de mesquins calculs partisans, est une faute politique doublée d’une faute morale. Elle entache et fragilise la « transition démocratique » tant célébrée à l’étranger. La Tunisie ne pourra prétendre devenir un Etat de droit digne de ce nom tant qu’elle sera dépourvue d’une instance de contrôle de la constitutionnalité des lois.

De cette infirmité juridique, l’élite politique du pays porte la seule responsabilité. Collectivement, le président de la République, le gouvernement et les partis politiques représentés au Parlement sont à blâmer pour avoir échoué à mettre en place la Cour constitutionnelle.

En tergiversant comme ils l’ont fait, ils s’exposent au soupçon de chercher à entretenir un flou juridique susceptible de maintenir certaines impunités. Comme si les turpitudes de l’ancien régime n’étaient toujours pas vaincues. La population tunisienne en est aujourd’hui la première victime.