Guillaume Martin au Tour de Romandie , le 5 mai à Genève. / FABRICE COFFRINI / AFP

Chronique. A qui douterait encore de la finesse intellectuelle du milieu cycliste, j’aimerais évoquer une anecdote vécue en début de saison, sur le Challenge de Majorque. Alors que les bosses s’enchaînaient, que la pluie s’abattait sur le peloton, que le rythme était effréné – bref, au milieu d’un essaim de souffrance –, une lumière a surgi, en la faveur d’un trait d’esprit lancé par un confrère anglo-saxon : « On joue au football, on fait du cyclisme. »

Le coureur souhaitait mettre en valeur la dimension proprement sacrificielle du cyclisme (que nous étions alors en train d’expérimenter). Le plaisir et le divertissement, on les laisse à d’autres sports. Nous, on trime, on rame, on râle, on souffle, on s’essouffle. Il n’y a rien de ludique à enchaîner les kilomètres à l’entraînement toute l’année, rien de ludique à se coltiner l’Izoard puis le Galibier dans la même journée. Aucun enfant ne fait du vélo ou de la course à pied dans une cour de récré ; les jeunes s’amusent en tapant dans un ballon ou en s’inventant des histoires dont ils s’imaginent être les personnages.

Plaisir pulsionnel obscur

Pourquoi, dès lors, en vient-on à pratiquer des sports comme le cyclisme, la course à pied, le ski de fond ?… Nonobstant leur âpreté, ils sont de plus en plus populaires. Il suffit pour s’en rendre compte d’observer l’engouement suscité par les cyclosportives montagneuses, les Iron Men, ou les différents raids. Pourquoi une telle appétence pour la souffrance ?

La raison souvent invoquée serait que l’homme se lance un défi à lui-même en s’engageant dans ces ambitieux projets athlétiques. « Même pas cap ? – Tu vas voir ! » : voilà le dialogue intérieur qui anime le sportif d’endurance. L’épreuve est pour lui la preuve de sa capacité d’échappement à soi, la preuve d’un « plus » toujours possible. Comme le disait Montaigne, « la vraie liberté c’est pouvoir toute chose sur soi ».

En vérité, il faut envisager que les motivations profondes qui nous poussent à pédaler ou à courir puissent être moins nobles et honorables. Peut-être, au travers de ces activités extrêmes, plutôt que de nous montrer à nous-mêmes ce dont on est capables, cherchons-nous en réalité à valoriser notre image auprès des autres, du public, de nos proches, de nos concurrents – fidèles en cela à l’époque et à ses injonctions de mise en scène égotique.

Peut-être aussi avons-nous besoin de faire exulter ce corps, que trop souvent l’on réprime. Enfermé toute l’année dans un open space, il demande sans doute à s’évader dans de vrais espaces. Peut-être enfin trouvons-nous simplement un plaisir pulsionnel obscur à nous faire mal, le cul sur la selle, la sueur qui ruisselle. Nous serions alors plus proche de la philosophie de Masoch que de celle de Montaigne.

Ce que je crois, surtout, que l’on cherche en faisant du vélo, c’est à nous donner un but, une direction, un projet. Tous les jours, le monde nous montre que rien n’a de sens : alors, plutôt que de s’apitoyer, autant s’en choisir un. Puisque tout se vaut, créons nos valeurs. Les miennes, ce sont la compétition et le panache athlétique. Je me divertis. Et, finalement, je joue au vélo.

Guillaume Martin, détenteur d’un master de philosophie, dispute le Tour de France au sein de l’équipe belge Wanty-Groupe Gobert.