« Joel, une enfance en Patagonie » : le garçon qui n’avait pas le droit d’aller à l’écoler
« Joel, une enfance en Patagonie » : le garçon qui n’avait pas le droit d’aller à l’écoler
Par Thomas Sotinel
Le cinéaste argentin Carlos Sorin évoque, sur un mode quasi documentaire, la transformation d’un couple avec l’arrivée d’un enfant adopté.
Carlos Sorin est de ces cinéastes dont un titre résume l’œuvre. Sorti en 2002, Historias minimas – des histoires toutes petites – jetait des gens ordinaires au destin ordinaire sur les routes de Patagonie. Depuis, le cinéaste argentin s’est installé dans ce registre et dans cette région immense. Joel est de cette veine, qui racontera donc une histoire minuscule, circonscrite dans le temps (contrairement à ce que pourrait laisser penser son titre français, le film n’a rien d’une chronique) et dans l’espace.
Sorin raconte ce qui advient à un couple – un ingénieur forestier, une professeure de piano – qui vit dans une petite ville quelque part du côté d’Ushuhaia lorsque son vœu le plus cher est exaucé. L’irruption d’un petit garçon adopté dans la vie de Cecilia (Victoria Almeida) et Diego (Diego Gentile) est traitée avec minutie et détachement, jusqu’à ce que le processus d’assimilation de l’enfant déraille, d’abord insensiblement. Sans abandonner tout à fait sa retenue, son empathie raisonnée, Carlos Sorin laisse alors la colère et la cruauté imprégner son film, qui devient ainsi le meilleur qu’ait donné le réalisateur depuis longtemps.
Pourtant, Cecilia et Diego sont des gens de bonne volonté. Lorsque les services sociaux les avertissent qu’un garçon candidat à l’adoption est arrivé à l’orphelinat voisin, ils surmontent leurs réticences. Joel (Joel Noguera) a 9 ans, trois de plus que l’âge qu’ils souhaitaient pour l’enfant. Sorin décrit un processus administratif à la fois sommaire et tatillon qui propulse rapidement le trio nouvellement constitué vers sa nouvelle vie.
Rumeurs et de récriminations
Tirant le jeu de ses acteurs vers un réalisme quasi documentaire, le cinéaste observe d’un peu loin les maladresses des parents, les réticences de l’enfant – taiseux, hirsute, dont on sait qu’il vient de loin (de la région de Buenos Aires, d’un milieu instable, pauvre). Mais les péripéties attendues – crises d’autorité, rébellion, révélations – n’arrivent pas. Ces premiers jours de cohabitation sont mis en scène comme un apprentissage, un peu fastidieux mais efficace.
La crise viendra de l’extérieur, de la ville dans laquelle le couple est récemment arrivé, de l’école dans laquelle Joel est scolarisé. Plus vieux que ses condisciples, le garçon suscite des réticences dans l’équipe pédagogique et bientôt chez les parents d’élèves. Sorin se refuse à filmer les enfants entre eux, ce n’est pas son propos. Ce qui lui importe, c’est de mesurer les effets de l’onde née des chocs qui se produisent dans la cour de récréation.
Cecilia est la dernière à être atteinte par ce phénomène, fait de rumeurs et de récriminations. A partir de ce moment, l’actrice Victoria Almeida donne à son personnage une dimension tragique qui éloigne le film du simple réalisme. Les parents de l’école élémentaire, les instituteurs sont de braves gens qui ne veulent de mal à personne. La jeune mère cherche le moyen de les amadouer, de domestiquer l’énergie qu’ils mettent à rejeter son fils tout neuf, trouvant une seule alliée en la personne d’une autre mère d’élève qu’incarne la réalisatrice Anna Katz.
L’une des plus belles séquences du film montre Cecilia faisant le tour de la petite ville dans l’espoir de convaincre les parents qui veulent l’exclusion de Joel que son fils a aussi le droit d’aller à l’école. La solution la plus raisonnable, la plus efficace, aurait été d’aligner quelques confrontations, de susciter un beau moment de rhétorique. Ce que font Carlos Sorin et Victoria Almeida est tout autre, et infiniment plus poignant.
Ce n’est pas tout à fait assez pour emporter le film dans un mouvement plus ample que celui sur lequel il a commencé. Pour montrer les failles qui se dessinent dans le couple, et – plus important – la mutation inquiétante d’une communauté sans histoire, le cinéaste n’infléchit pas sa manière minutieuse et tranquille, laissant à sa formidable actrice et aux spectateurs le soin de charger le film de leurs sentiments.
JOEL, UNE ENFANCE EN PATAGONIE de Carlos Sorin - bande-annonce officielle
Durée : 01:40
Film argentin de Carlos Sorin, avec Victoria Almeida, Diego Gentile, Joel Noguera, Anna Katz (1 h 40).
Sur le web : www.paname-distribution.com, www.facebook.com/panamedistribution/