Bernartd Tapie, lors de son procès, à Paris, le 13 mars 2019. / Michel Euler / AP

Editorial du « Monde ». L’arbitrage Tapie est une affaire polico-financière qui marquera l’histoire de la Ve République par sa durée, ses rebondissements et les soupçons qu’elle a drainés à chaque étape de sa progression. Elle trouve ses racines à la fin des années Mitterrand, lorsque le repreneur d’entreprises, aventurier sur les bords mais déjà très bien en cour, entre en conflit avec une grande banque d’affaires, le Crédit lyonnais, à propos de la vente d’Adidas, dans laquelle il s’estime floué. Elle rebondit dix ans plus tard, sous le quinquennat Sarkozy, lorsque l’homme d’affaires, toujours en conflit avec la banque, désormais en faillite, obtient du ministère des finances alors conduit par Christine Lagarde qu’un tribunal arbitral privé tranche le conflit.

Bernard Tapie en sort largement gagnant, puisque le tribunal lui accorde 403 millions d’euros, directement puisés dans les caisses de l’Etat. Mais, huit ans plus tard, sous la pression des socialistes revenus au pouvoir, un recours est déposé contre la sentence arbitrale, la procédure est annulée, les époux Tapie sont condamnés à rembourser les sommes versées, Christine Lagarde comparaît devant la Cour de justice de la République (CJR), composée de douze parlementaires et de trois magistrats. Pour la première fois sous la Ve République, le groupe socialiste a fait jouer son droit de saisir le procureur ­général près la Cour de cassation.

« Frêle limite »

Parallèlement, une enquête pénale est ouverte pour « escroquerie » et « détournement de fonds publics », qui met en cause l’homme d’affaires mais aussi Stéphane Richard, l’actuel patron d’Orange, à l’époque directeur de cabinet de Christine Lagarde, ainsi que Pierre Estoup, l’ancien magistrat qui avait siégé dans le tribunal arbitral, et Maurice Lantourne, l’avocat historique de Bernard Tapie. Le jugement est tombé mardi 9 juillet, et c’est peu de dire que l’affaire s’est dégonflée comme une baudruche : le tribunal de Paris a relaxé l’homme d’affaires et mis hors de cause les autres accusés. Seule reste marquée par cette affaire Christine Lagarde, la future patronne de la Banque centrale européenne, qui a été jugée partiellement coupable de « négligence » devant la CJR, mais a été dispensée de peine.

Le jugement du tribunal correctionnel frustrera tous ceux qui cherchaient à savoir si l’arbitrage Tapie résultait ou non d’un accommodement inapproprié entre l’homme d’affaires et le pouvoir sarkozyste. Ce soupçon est à l’origine de la bataille sans merci que François Hollande et ses proches ont menée contre la solution choisie par le gouvernement précédent.

Le tribunal a refusé d’entrer dans le jeu. Il a au contraire maintenu une frontière très étanche entre politique et justice. Il s’est opposé à la vision de l’instruction et à celle de l’accusation selon lesquelles le choix de l’arbitrage présentait en soi un caractère suspect. Il a considéré que son seul devoir était de vérifier si des manœuvres frauduleuses avaient été commises lors de l’arbitrage et il a conclu par la négative.

Lors de la comparution de Christine Lagarde devant la CJR, le procureur général, Jean-Claude Marin, s’était déjà chargé de rappeler la « frêle limite » entre ce qui relève du droit pénal et ce qui ressortit à l’appréciation d’une mauvaise décision ministérielle. Dans le premier cas, la justice est compétente. Dans le second, la seule sanction légitime en démocratie ne se joue pas dans un tribunal ou devant une Cour, mais dans les urnes. Aussi « frêle » soit-elle, cette limite a été fermement maintenue par le tribunal correctionnel de Paris. Le parquet a dix jours pour faire appel.