Tour de France 2019 : derrière Groupama-FDJ, les équipes françaises subissent
Tour de France 2019 : derrière Groupama-FDJ, les équipes françaises subissent
Par Henri Seckel, Clément Guillou (Envoyés spéciaux à Brioude, Haute-Loire)
Présentes dans l’échappée du jour, Cofidis, AG2R, Arkea et Total Direct Energie ont été battues par plus fortes qu’elles à Brioude. Mais elles relèvent la tête après un début de Tour difficile.
Le Tour s’est offert une journée de calme après le feu d’artifice du 13 juillet, et une échappée de 15 coureurs a enfin pu mener son affaire sereinement entre Saint-Etienne et Brioude. C’est le Sud-Africain Daryl Impey, de Mitchelton-Scott, qui s’impose au sprint devant Tiesj Benoot. Julian Alaphilippe est toujours en jaune.
Cofidis, Total Direct Energie, AG2R-La Mondiale et Arkea-Samsic : quatre des cinq équipes étaient représentées dans la bonne échappée de cette neuvième étape du Tour. / CHRISTIAN HARTMANN / REUTERS
Pour la fête nationale, les équipes françaises avaient sonné le clairon devant le stade Geoffroy-Guichard, où étaient garés les cars des 22 équipes du Tour : la route vallonnée de Saint-Etienne à Brioude se prêtait idéalement à une échappée. Toutes sauf une, évidemment : la Groupama-FDJ, regroupée autour de son leader Thibaut Pinot, garde des forces dans le fol espoir de devoir défendre un maillot jaune après les Pyrénées.
Pour les autres, c’était donc jour d’attaque, après une semaine à se faire écraser par la machine du Tour. Cinq équipes françaises sont présentes sur le Tour cette année et, hormis la Groupama-FDJ, toutes souffrent à des degrés divers depuis le départ de Bruxelles.
AG2R a pris deux grands coups sur la tête lors du contre-la-montre par équipes et dans l’arrivée à la Planche des Belles Filles, où Romain Bardet a fini dernier des prétendants au podium. Cofidis s’est montré dans des échappées publicitaires et fait bonne figure lors du contre-la-montre par équipe, mais est déjà réduite à six après les abandons de Nicolas Edet et Christophe Laporte, touchés par un virus et à bout de forces. Les sprinteurs de Arkea-Samsic et Total Direct Energie, Niccolo Bonifazio et Andre Greipel, sont en troisième rideau dans les arrivées massives. Avant ce 14 juillet, pour ces quatre équipes, seuls Oliver Naesen (AG2R, 8e à Bruxelles), Julien Simon (Cofidis, 6e à Colmar) et Christophe Laporte (Cofidis, 10e à Nancy) avaient réussi à se hisser dans les dix premiers d’une étape.
Route cruelle
Mais sur les routes gavées de public à la sortie de Saint-Etienne, c’est sûr, on allait voir du bleu-blanc-rouge. De fait, les quatre équipes françaises plaçaient un représentant à l’avant. Hélas, ce n’était pas forcément les bons. Si Oliver Naesen pouvait, pour AG2R, espérer franchir la dernière côte du jour avec les meilleurs de cette échappée de 15 ; si Jesus Herrada, étincelant au mois de juin, semblait la meilleure des six cartes restantes à la maisoin Cofidis ; on ne donnait pas cher de la peau d’Anthony Delaplace (Arkea-Samsic) et Romain Sicard (Total-Direct Energie).
La route fut cruelle : 10e, 11e et 12e places pour les trois derniers, et méritoire quatrième place pour Naesen, crucifié comme un bleu au sommet de la côte de Saint-Just par Daril Impey. Le Sud-Africain profitait du travail abattu par les deux Belges, Naesen et Stuyven, avant de mettre toute son énergie dans un sprint de 200 mètres pour rattraper Tiesj Benoot, qu’il réglerait facilement au sprint à Brioude. Du travail d’orfèvre pour l’ancien maillot jaune, blanchi en 2014 sept mois après un contrôle positif à la probénicide, un produit masquant.
Cela ne sourit donc toujours pas pour les équipes françaises. En une journée, elles se sont donné du baume au cœur, tout en réalisant l’écart de niveau qui les sépare des grandes équipes du World Tour.
« Mettre une dynamique positive »
« Pour gagner sur les routes du Tour, il faut être l’auteur d’un grand numéro. Et ça appartient à un petit cercle très restreint de coureurs, expliquait Cédric Vasseur sur France Télévisions. La présence aujourd’hui de Jesus Herrada à l’avant va redonner un peu d’énergie à l’équipe. Pourtant, on avait bien commencé… mais le Tour est encore long. »
Même son de cloche chez Oliver Naesen, qui ne cachait pas l’ambiance un peu morne régnant ces derniers jours dans le car AG2R-La Mondiale : « C’est important de faire un résultat pour essayer de mettre une dynamique positive dans l’équipe. On en avait besoin je crois, même si ce n’est pas une victoire, même pas un podium. »
Une dynamique positive qu’a tenté de ramener Romain Bardet sur ses terres de Brioude, et dès le départ lors du briefing, où il a pris la parole pour demander à ses coéquipiers de croire en eux. Dans la dernière difficulté du jour, Bardet a posé son premier pétard du Tour, histoire de rappeler qu’il était toujours là. C’était un claque-doigts plus qu’autre chose, mais il a tout de même fait mal aux jambes des autres et bien à la tête du Brivadois : « Quand on prend une claque, il y a deux solutions. Soit on tend l’autre joue, soit on rend les coups, et je n’ai pas choisi la première option. »
Bravo au photographe. / Thibault Camus / AP
Le Tour du comptoir : Saint-Etienne
Après chaque étape, Le Monde vous envoie une carte postale depuis le comptoir d’un établissement de la ville de départ.
Où les abattoirs ont disparu, mais pas leur café.
Le départ de la 9e étape à Saint-Etienne était donné dans le no man’s land du stade Geoffroy-Guichard – mais bon sang, pourquoi n’a-t-on pas construit les stades de foot au cœur des villes, comme à Sankt-Pauli par exemple, au lieu de les foutre au bout du monde ? Bien sûr, ce serait un peu bruyant une fois par semaine, mais personne que cela dérange ne serait obligé d’habiter le quartier, tout le monde pourrait aller au stade à pied ou en tramway, et on éradiquerait des agglomérations ces parkings géants qui ne servent qu’une fois par semaine.
Bref, le départ de la 9e étape, disais-je avant d’être assez grossièrement interrompu par moi-même (© Desproges), était donné dans le no man’s land du stade Geoffroy-Guichard, qui par conséquent est aussi un no comptoir’s land. Il a donc fallu marcher dix minutes pour trouver bar qui vive, ce qui nous a permis de tomber nez à nez avec le Café des Abattoirs, et donc d’avoir une pensée émue pour le Café de l’Abattoir de Fougères (Ille-et-Vilaine) qui nous avait accueillis et régalé d’une galette-saucisse mémorable l’an dernier.
Entrons au Café des Abattoirs. « Vous inquiètez pas, on en ressort vivant », rassure Bruno, vieux de la vieille de l’établissement, assis en face d’un encore plus vieux de l’encore plus vieille, Paulo. Les deux compères nous délivrent une leçon d’histoire.
Bruno à gauche, Paulo à droite.
En face du café se trouvaient les abattoirs de Saint-Etienne où, jusque dans les années 1970, 3 500 employés (source : Paulo) s’affairaient à égorger, équarrir et étriper pour remplir les boucheries locales. Soit 3 500 gosiers et estomacs qui venaient se remplir dans l’un des 52 cafés (source : Paulo) alignés sur le trottoir d’en face.
« Les abattoirs attaquaient à 3 heures du matin, les mecs venaient prendre le casse-croûte à 5 heures, et c’était le premier verre de vin de la journée, raconte Paulo. Y avait personne dans le quartier à moins de 0,5 g. C’était même plutôt 2 ou 2,5. Ça se faisait au fur et à mesure de la journée. »
Paulo est né dans le quartier il y a 72 ans. « Ma mère n’a jamais acheté de viande. T’allais voir le tueur, il attrapait un bœuf qui pendait, il te coupait un bout de barbaque de trois kilos et tu ramenais ça à la baraque, c’était formidable. » De la viande gratuite ? « Bon, disons que c’était surtout ce qui restait de la découpe. Des tripes, des oreilles, des pieds de cochon, des couilles de mouton, de la tête de veau. Ça coûte très cher, maintenant, la tête de veau ! »
Les abattoirs ont été remplacés par des immeubles moches. 51 des 52 cafés ne sont plus là. Le Café des Abattoirs est le dernier des Mohicans. La fontaine à l’entrée a disparu : elle servait à rincer les bottes des tueurs, pleines de fumier, de paille et de sang. Le rideau de fer aussi a disparu : les patrons du bar le baissaient quand passaient des troupeaux de vaches qui, en route vers leur sort funeste, envoyaient leurs cornes dans tous les sens et menaçaient de briser les vitrines.
Nous prenons congé de Paulo et Bruno. A la sortie, la patronne, arrivée il y a douze ans, nous alpague. « Vous pouvez écrire que le café est à vendre, s’il vous plaît ? Si ça marche, on vous invite au restaurant. » Le Café des abattoirs est à vendre. Voilà. Quelqu’un connaît un bon restaurant où manger des couilles de mouton à Saint-Etienne ?