Violences obstétricales : médecins et patientes en souffrance
Violences obstétricales : médecins et patientes en souffrance
Par Audrey Fournier
La documentariste Ovidie fait le point sur un sujet intime, « au carrefour des revendications sexuelles et féministes ».
Groupe de militantes protestant contre les violences obstétricales et gynécologiques à Bruxelles. / MAGNETO PRESSE
Des femmes en larmes, le visage décomposé, se remémorent ce qui aurait dû être un moment de joie, baigné de douceur. Au contraire, il est question dans leur récit de forceps, d’épisiotomie pratiquée sans anesthésie (« un coup de rasoir »), de sutures à vif. D’une douleur si forte qu’elle donne « envie de mourir pour que ça s’arrête ». Comment peut-on donner la vie et avoir envie de mourir ? Après avoir consacré un documentaire remarqué au meurtre, dans les locaux des services sociaux, de la Suédoise Eva-Marree Kullander-Smith par son ex-compagnon (Là où les putains n’existent pas), la documentariste Ovidie s’intéresse, dans Tu enfanteras dans la douleur, au scandale des violences gynécologiques et obstétricales.
Médiatisée par le blog Marie accouche là de la juriste Marie-Hélène Lahaye, la question crispe les rapports entre patientes et corps médical depuis près de trois ans. Au point d’interpeller la secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, qui a commandé un rapport sur le sujet, rendu en juin 2018. Elle-même témoigne dans le film d’Ovidie des violences qu’elle a subies pendant la naissance de ses enfants. L’expression « violences obstétricales » a beau choquer le président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français, Israël Nisand, les témoignages recueillis pour ce documentaire sont édifiants et l’émotion dans la voix des femmes qui s’expriment face à la caméra témoigne d’un profond stress post-traumatique. Comment, en 2019, des actes ressentis comme « de la torture » peuvent-ils être pratiqués au sein d’une maternité ?
« Un combat »
Les années 1950 et 1960 avaient pourtant vu le développement en France des techniques d’accouchement « sans douleur », ou tout au moins d’une prise en charge plus physiologique de cet événement – qui, « neuf fois sur dix », se déroule sans aucun problème. Mais la surmédicalisation de l’accouchement, corollaire du développement de la péridurale, est aujourd’hui accusée de favoriser les actes invasifs (forceps, ventouse, épisiotomie…), pratiqués trop souvent sans consentement. Surmédicalisation qui se fait au détriment d’un accompagnement personnalisé des patientes : une sage-femme chef explique ainsi qu’« on n’apprend plus aux sages-femmes à accompagner un accouchement sans péridurale ». L’accouchement physiologique est devenu « un combat » : en témoigne le nombre de sages-femmes pratiquant des accouchements à domicile ayant été radiées, souvent pour défaut d’assurance, les assureurs pratiquant des tarifs prohibitifs pour cette activité « hors les murs ».
Les médecins et sages-femmes interrogés par Ovidie invoquent le manque de moyens, la surcharge de patients, qui transforment les soignants « en maltraitants ». Une jeune obstétricienne regrette « le manque de reconnaissance et de confiance » envers les médecins, ainsi que l’alourdissement de la charge administrative et des contraintes réglementaires qui pèsent sur son métier. « C’est comme ça qu’on perd les docteurs. »
Une sage-femme remarque que les patientes d’aujourd’hui n’ont plus rien à voir avec celles d’hier. « Maintenant, elles veulent être dans le contrôle. » A croire qu’il faut à tout prix désigner un coupable. En un peu moins d’une heure, Tu enfanteras dans la douleur fait efficacement le point sur un sujet complexe, intime, qui se situe « au carrefour des revendications sexuelles et féministes », mais a longtemps été écarté du débat.
Tu enfanteras dans la douleur, réalisé par Ovidie (Fr., 2019, 58 min).