A Londonderry, en Irlande du Nord, le 20 avril, le lendemain de la mort d’une journaliste tuée par une balle perdue lors d’un rassemblement de l’IRA. / PAUL FAITH / AFP

Le 7 juillet, près de Dublin, ils étaient environ 80 à se réunir en béret et uniforme de l’Armée républicaine irlandais (IRA) autour de la tombe de Wolfe Tone, père du nationalisme irlandais décédé en 1798. Leur nombre n’était pas forcément impressionnant, mais leur présence suffit à marquer la persistance de la « Nouvelle IRA » – héritière de l’IRA dissoute en 2005 –, qui profite clairement des peurs liées au Brexit. Ce rassemblement suit en effet de peu la mort de la journaliste Lyra McKee, tuée dans la nuit du 18 au 19 avril par une balle perdue lors d’une manifestation dans le quartier Creggan, à Londonderry.

Avec l’éventualité d’un Brexit dur qui se profile en cas d’élection de Boris Johnson comme premier ministre mardi 23 juillet, l’inquiétude monte en Irlande du Nord. En cas de Brexit sans accord, « le durcissement de la frontière irlandaise offrirait des cibles pour les attentats de la Nouvelle IRA », affirme le professeur Richard English de la Queen’s University de Belfast.

Le chef adjoint de la police d’Irlande du Nord, Tim Mairs, expliquait le 8 juillet sur la BBC que le groupe terroriste pourrait s’appuyer sur le Brexit pour recruter de nouveaux membres. Il déclarait également qu’en cas de fermeture de la frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande, les passeurs et les paramilitaires pourraient être amenés à coopérer. Les habitants vivant au nord et au sud de la ligne redoutent cette éventualité.

La Nouvelle IRA est née en 2012 d’une fusion de divers groupes paramilitaires ayant refusé les accords de paix de 1998. Saoradh, sa vitrine politique, a été créée en 2016 et est active en République d’Irlande comme en Irlande du Nord. Ses modes opératoires ne diffèrent pas beaucoup de ceux de l’« IRA provisoire », le groupe responsable de la plupart des attentas de 1970 à 1998. Assassinats, colis et voitures piégés, propagande politique : les anciens – vieillissants mais très présents dans les rangs du groupe – perpétuent une tradition d’actions de guérilla et de déstabilisation.

« Ils ont des armes et ils ont des hommes, explique Philippe Cauvet, maître de conférences en civilisation irlandaise. Ils n’ont pas la capacité de déstabilisation générale que pouvait avoir l’IRA provisoire, mais ponctuellement la Nouvelle IRA est capable de mettre en place des actions très visibles et spectaculaires. » La police estime que l’IRA dispose aujourd’hui d’armes ayant échappé au processus de désarmement qui s’est achevé en 2005. Le MI5 – le renseignement intérieur britannique – considère que le risque d’actes terroristes en Irlande du Nord est « sévère » et qu’une attaque « est très probable ».

« Voyoucratie »

Dans l’un des très rares et très secrets entretiens accordés à la presse après la mort de Lyra McKee, le groupe paramilitaire confiait au Times être conscient de ne pas être en mesure d’avoir un impact significatif sur l’avenir des deux Irlandes : « Nous acceptons pleinement le fait de ne pas pouvoir défaire les Britanniques ou les chasser d’Irlande, mais nous continuerons la lutte tant qu’ils resteront là. Les attaques sont symboliques, c’est de la propagande. »

Dans ses rangs, les anciens combattants côtoient de très jeunes gens. Agnès Maillot, auteure de L’IRA et le conflit nord-irlandais (Presses universitaires de Caen, 2018) et professeure à l’Université de Dublin, met en avant la radicalisation des nouvelles recrues, symptôme d’une société au ralenti et de tensions communautaires : « Ce sont des jeunes défavorisés, sans beaucoup d’avenir compte tenu du taux de chômage et d’échec scolaire élevé en Irlande du Nord. »

Les murs entre communautés sont loin d’avoir disparu. Le quartier Creggan, où Lyra McKee a été tuée, est très largement catholique et l’un des plus pauvres du Royaume-Uni. « Cette homogénéité économique et culturelle est le terreau du développement d’un communautarisme et d’une voyoucratie très présente en Irlande du Nord », explique Philippe Cauvet.

« Continuation du conflit »

A ces facteurs, M. Cauvet ajoute une problématique liée au processus de paix : « Ce processus a consisté à traiter avec les deux camps. On ne leur a pas demandé de changer, ce qui est très dangereux, car cela alimente un système politique qui n’est que la continuation du conflit. » Les partis les plus radicaux – Sinn Féin (républicain) et DUP (unioniste) – ont dès lors prospéré. « La culture sectaire a continué à être encouragée », conclut le chercheur.

Le choc causé par la mort de Lyra McKee, dans les deux communautés, montre que le retour de la violence n’a toutefois rien d’évident. Les Irlandais du Nord font surtout face à l’absence de représentation politique efficace. En août, cela fera en effet deux ans et demi que la région est privée de gouvernement local, du fait du boycott par le Sinn Féin des institutions exécutives à Belfast.