Joe Biden, lors d’un rassemblement de soutien à des employés en grève, à Dorchester dans le Massachusetts, le 18 avril 2019. / JOSEPH PREZIOSO / AFP

« Third time’s a charm » (« la troisième fois sera la bonne ») assure le dicton. L’ancien vice-président Joe Biden, 76 ans, qui a annoncé le 25 avril sa candidature à l’investiture démocrate peut en témoigner, du moins pour l’instant.

En 1987, il avait mis un terme à une première tentative avant même que débutent les primaires. En 2008, sa course avait été stoppée net dès le premier Etat à se prononcer, l’Iowa, où il n’avait obtenu qu’un pourcent des voix. Douze ans plus tard, il est largement en tête des intentions de vote, sans que l’on sache encore si ce résultat traduit simplement sa notoriété ou une véritable adhésion à sa personne.

S’il devait être élu en 2020, il deviendrait, et de très loin, le plus vieux président de l’histoire des Etats-Unis.

S’il devait être élu en 2020, il deviendrait, et de très loin, le plus vieux président de l’histoire des Etats-Unis. A quelques jours près, il serait même presque aussi âgé que le doyen Ronald Reagan lorsque ce dernier a quitté ses fonctions après deux mandats, en 1989. Le plus vieux président après avoir été l’un des plus jeunes sénateurs du pays, élu en novembre 1972, quelques jours avant les 30 ans réglementaires, acquis lors de sa prise de fonction. A l’époque, l’un de ses adversaires démocrates d’aujourd’hui, Beto O’Rourke, âgé de trois mois à peine, ne faisait sans doute pas ses nuits, pour ne pas parler de Pete Buttigieg, venu au monde une décennie plus tard.

Affiche de soutien à Joe Biden, le 18 avril 2019, dans le Massachusetts. / JOSEPH PREZIOSO / AFP

Des blessures personnelles et un tempérament de lutteur

Cette spectaculaire longévité prend ses racines dans un tempérament de lutteur que masque un sourire inoxydable, malgré mille blessures. Personne n’avait imaginé que ce fils de vendeur de voitures puisse déloger en 1972 un cacique démocrate du Delaware. A peine est-il élu au Sénat que sa femme et sa petite fille sont tuées dans un accident de voiture. Il pense démissionner puis s’accroche et prête serment dans la chambre de l’hôpital où ont été transportés ses deux fils, également blessés. Il se remet plus tard miraculeusement de deux ruptures d’anévrisme et d’une embolie pulmonaire alors qu’on a administré par précaution à ce catholique tolérant les derniers sacrements. En 2015, un cancer emporte son fils aîné Beau, ancien attorney general (procureur général) du Delaware passé par l’armée et qu’il imaginait déjà gouverneur, puis président des Etats-Unis.

Après la mort de sa femme et de sa fille, l’un de ses collègues du Sénat lui conseille une thérapie : le travail parlementaire. Joe Biden le suit à la lettre, sans rien retrancher de son caractère. Lorsqu’il arrive en retard, après s’être égaré dans le labyrinthe du Congrès, à une audition spéciale du secrétaire d’Etat Henry Kissinger, ce dernier le toise avant de faire remarquer que les assistants parlementaires n’ont pas été conviés à assister à son exposé. Informé de sa méprise, le flamboyant diplomate en chef des Etats-Unis le prie de l’excuser en écorchant affreusement son nom. « Pas de souci, secrétaire Dulles », réplique Joe Biden en le gratifiant du patronyme de l’ancien secrétaire d’Etat de Dwight Eisenhower (1953-1959).

Les échelons du Sénat gravis patiemment

Il gravit patiemment les échelons du Sénat jusqu’au poste de président de la commission des affaires juridiques, celle qui traite les nominations à la Cour suprême, puis à deux reprises celui de président de la prestigieuse commission des affaires étrangères, soit un rang de quasi-secrétaire d’Etat. Cette incontestable expertise incite le vainqueur de la course à l’investiture démocrate de 2008, Barack Obama, à le choisir comme vice-président en 2008.

Joe Biden se place à équidistance de l’intellectualisme d’Obama et du populisme paradoxal de Trump.

Deux mandats sans le moindre nuage plus tard, Joe Biden envisage de se lancer une troisième fois dans une candidature présidentielle. Il en est dissuadé par le président qui estime que l’heure d’Hillary Clinton, qu’il avait battue en 2008, a sonné. Le vice-président assiste impuissant à la défaite stupéfiante de 2016, convaincu qu’il aurait été capable de conserver dans le giron démocrate les cols-bleus séduits par le message revanchard et protectionniste de Donald Trump.

Car les décennies passées au Sénat n’ont pas éloigné ce natif de Pennsylvanie des classes populaires. Ses gaffes pourraient alimenter un livre, mais elles sont aussi considérées comme autant de gages d’authenticité. Elles le placent à équidistance de l’intellectualisme de Barack Obama et du populisme paradoxal d’un Donald Trump qui évite comme la peste les bains de foule des campagnes.

Un lot de passifs

La longévité de Joe Biden charrie en revanche son lot de passifs. Comme son opposition, en 1974, au busing, l’utilisation du transport scolaire pour favoriser la mixité raciale au sein des établissements scolaires, une décennie après les lois sur les droits civiques.

Ou encore sa condescendance en 1991 vis-à-vis d’Anita Hill qui avait accusé le candidat à la Cour suprême Clarence Thomas de harcèlement sexuel, à une époque où les femmes étaient encore une infime minorité au Congrès. Avant même son entrée dans la primaire démocrate, il a été mis en difficulté par le récit des gestes d’affection appuyée, ressentis comme déplacés, qui ont été longtemps sa spécialité.

L’ancien vice-président va devoir faire la preuve qu’il n’est pas un fédérateur provisoire, par défaut.

Les huit années passées dans le sillage centriste de Barack Obama risquent également de pénaliser Joe Biden au sein d’un Parti démocrate qui se déporte aujourd’hui sur sa gauche sur le financement de la protection sociale, la fiscalité, et le rôle de l’Etat fédéral.

La présence dans la course démocrate du sénateur indépendant Bernie Sanders, d’un an son aîné, lui permet miraculeusement d’éviter d’apparaître comme son doyen. Mais face à une escouade de quadragénaires et de quinquagénaires et pour éviter l’obsolescence, l’ancien vice-président va devoir vite faire la preuve qu’il n’est pas un fédérateur provisoire, par défaut, et qu’il est capable d’ajouter les générations aux générations et les modérés aux progressistes pour l’emporter face à Donald Trump.