En Tunisie, grand flou sur la loi électorale à moins de trois mois des législatives
En Tunisie, grand flou sur la loi électorale à moins de trois mois des législatives
Par Mohamed Haddad (Tunis, correspondance)
Pas de promulgation des amendements controversés, a annoncé un conseiller du chef de l’Etat, alors que celui-ci avait jusqu’à la mi-juillet pour le faire.
Photo du président Caïd Béji Essebsi avec son ministre de la défense, Abdelkrim Zbidi, publiée sur la page Facebook de la présidence tunisienne le 22 juillet 2019. / Facebook/Présidence de la République de Tunisie
C’est le grand flou. Alors que les prétendants au Parlement affluent, lundi matin 22 juillet, pour déposer leur candidature au scrutin du 6 octobre, la confusion plane sur les prochaines élections. Un conseiller du chef de l’Etat a annoncé que celui-ci ne promulguera pas les amendements controversés de la loi électorale.
Une loi qui a en effet été amendée par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) en juin pour « protéger la jeune démocratie », selon une source gouvernementale à l’initiative de ce texte. Mais le timing a été critiqué par des ONG, qui y ont surtout vu un moyen d’écarter de nouveaux acteurs politiques, décrits comme « populistes » par leurs adversaires, mais bien placés dans les sondages au détriment des partis dominants.
Parmi les candidats visés : Nabil Karoui, le patron de la chaîne de télévision Nessma, qui a des démêlés avec la justice ; Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre (PDL) qui pourfend la révolution de 2011 comme « un complot étranger » ; ou encore la mécène Olfa Terras-Rambourg.
« Violation de la Constitution »
Aussi litigieux soient-ils, les amendements de cette loi n’ont pas été censurés par l’instance provisoire chargée de contrôler leur constitutionnalité. Le chef de l’Etat avait jusqu’à la mi-juillet pour renvoyer le texte au Parlement, ou bien convoquer un référendum. N’ayant opté ni pour l’un, ni l’autre, il était dans « l’obligation de promulguer la loi », a estimé la juriste Salsabil Klibi la semaine dernière.
Ce qui était considéré comme une formalité s’est transformé en une arme politique dans un conflit larvé entre les deux têtes de l’exécutif, depuis que le chef du gouvernement s’est affranchi de la tutelle du président de la République. Le conflit s’est soldé par l’implosion du parti présidentiel, Nidaa Tounès, et le lancement du parti Tahya Tounès par son premier ministre Youssef Chahed.
Dans un communiqué publié dimanche soir, le parti Tahya Tounès (« vive la Tunisie »), présidé par M. Chahed, a estimé qu’il s’agissait d’« une violation de la Constitution », ajoutant que « la non-promulgation d’une loi adoptée et validée par l’instance de contrôle de la constitutionnalité menace la transition démocratique et les institutions de l’Etat ».
La veille, Nourredine Ben Ticha, conseiller du président chargé des relations avec le Parlement et les partis avait annoncé que « le chef de l’Etat est contre l’exclusion et il s’adressera ultérieurement aux Tunisiens pour justifier sa décision ». Quelques heures plus tôt, Hafedh Caïd Essebsi ayant publiquement estimé que son père est « le garant de la Constitution » et qu’il « veille au respect de la constitution en l’absence de Cour constitutionnelle ». Dans les textes, il n’en est rien.
Ces sorties médiatiques n’ont pas rassuré la classe politique. D’autant qu’au Palais de Carthage, siège de la présidence, c’est silence radio depuis deux semaines. Aucune communication sur l’activité présidentielle si ce n’est une photo de la rencontre entre le ministre de la défense, Abdelkrim Zbidi, et le chef de l’Etat publiée ce lundi après-midi. La porte-parole de la présidence et d’autres conseillers ne répondaient pas au téléphone.
Climat politique délétère
Le député Brahim Nacef, chargé des relations avec la présidence de la République, a expliqué vendredi au Monde qu’il « n’a pas eu de contact direct avec le président de la République depuis sa dernière apparition il y a deux semaines ».
Idem du côté du pouvoir judiciaire. « A-t-il signé, refusé de signer, renvoyé le texte à la présidence du gouvernement ? Nous n’avons aucune nouvelle », regrettait Imed Khaskhousi, porte-parole du Conseil supérieur de la magistrature vendredi soir. Pourtant, ce sont les tribunaux administratifs qui devront trancher les litiges électoraux, explique-t-il au Monde.
Face à cette impasse, les initiatives se multiplient. Mohamed Abbou, candidat à la présidentielle du parti d’opposition Courant démocratique qui a voté en faveur des amendements, a proposé l’intervention du procureur de la République pour constater l’état de santé du président. De son côté, Mustapha Ben Jaafar, qui fut président de l’Assemblée constituante (2011-2014), a exprimé son inquiétude sur l’instrumentalisation des institutions dans un combat qui oppose le président et le chef du gouvernement.
Dans ce climat politique délétère, le Parlement a vainement tenté, jeudi, d’élire les trois membres de la Cour constitutionnelle. Cette institution essentielle de la vie démocratique, censée être opérationnelle depuis 2015, doit voir ces postes pourvus pour pouvoir fonctionner. C’est d’autant plus préjudiciable que la résolution des conflits sur les prérogatives entre les têtes de l’exécutif, l’examen de la constitutionnalité ou la constatation d’une violation de la Constitution sont parmi ses principales missions.