Egan Bernal, le 26 juillet 2019. / GONZALO FUENTES / REUTERS

Vincenzo Nibali, 39e au classement général, a sauvé son Tour de France en remportant la 20e étape à Val Thorens, samedi. Seulement 4e à Val Thorens, Egan Bernal a quant à lui sauvé sa 20e étape en remportant le Tour de France. Une fois les comptes entre sprinteurs réglés sur les Champs-Elysées (départ 18 heures ; arrivée vers 21 h 30), une fois le soleil couché sous l’Arc de Triomphe, le Colombien pourra soulever son premier vase de Sèvres, à seulement 22 ans.

Vingt-deux ans et 196 jours, c’est plus que Henri Cornet (19 ans et 355 jours en 1904) et François Faber (22 ans 187 jours en 1909), qui le devancent sur le podium des plus jeunes vainqueurs de l’histoire du Tour. Mais 22 ans, c’est dix de moins que Chris Froome lors du dernier de ses quatre succès : Bernal, on en a pour dix ans. Cela dit, on a souvenance d’une interview de Bernard Hinault annonçant, en 1997, dans L’Équipe : « Ullrich, on en a pour dix ans ». Et on en avait eu pour un an.

Gardons-nous de toute emphase. Dans le vélo, la routourne tourne vite. Bernal ne dira pas le contraire : l’an dernier, le Colombien s’encastrait dans le cul d’une bagnole sur l’étape de Roubaix. Cette année, il gagne le Tour, ainsi qu’une ode à sa gloire dont la mélodie d’un goût discutable reste dans le crâne, on vous aura prévenus.

Bemancio x Juan Clavijo x Jose Cycling - Egan Bernal Spanish Rap
Durée : 04:41

2019 n’aura pas été le Tour du renouveau : Nibali et Valverde font 1 et 2 de l’étape hier, et Ineos/Sky gagne pour la 7e fois en huit ans. Mais 2019 aura été le Tour du renouveau de l’intérêt, et c’est déjà merveilleux.

Voilà, on a peine à le croire, mais le Tour, c’est terminé. L’orgie de vélo s’achève, l’orgie de souvenirs débute. Pendant le 106e Tour de France...

... on a considéré à l’unanimité de nous deux que le grand départ de Bruxelles était mieux que celui de La Roche-sur-Yon. Mille fois mieux, une fois.

On n’a jamais réussi à citer l’intégralité de l’équipe Katusha, qui a pourtant bel et bien participé à la course, la preuve en image.

On a vu des journalistes colombiens, sous une toile de tente battue par la pluie à Valloire, s’égosiller pour Nairo Quintana et Egan Bernal. Et on a filmé comme les dix autres journalistes non-Colombiens présents à cet endroit.

En même temps, il faut reconnaître que c’est impressionnant.

On a découvert l’art de rue colombien.

On a regardé la fin du Tourmalet avec Marc Madiot. Enfin, Marc Madiot a regardé la fin du Tourmalet avec nous.

On s’est cru hyper malins en prenant un chemin non carrossable pour éviter de passer par le « point de passage obligatoire » (PPO) vers le départ fixé par les organisateurs du Tour de France.

On s’est senti hyper cons quand on a crevé après avoir pris un chemin non carrossable, et dû assister à l’abandon de Thibaut Pinot sur un écran de téléphone dans un garage.

On a expliqué à des touristes américains d’Atlanta que l’on venait de prendre en stop dans la montée de Tignes qu’ils feraient aussi bien de redescendre le col à pied sous la pluie, puisque la 19e étape venait d’être annulée et qu’ils ne verraient aucun coureur.

On a vécu la 19e étape du Tour 2019, et on s’en souviendra encore dans cinquante ans.

On a vu une photo de Dries Devenyns en peignoir, sur le compte Instagram de Julian Alaphilippe.

On a pronostiqué que Thibaut Pinot allait gagner le Tour.

On a pronostiqué que Geraint Thomas allait gagner le Tour.

On a pronostiqué qu’Egan Bernal allait gagner le Tour.

On a pronostiqué que Julian Alaphilippe allait gagner le Tour.

Tout ça en quatre jours.

On a pronostiqué que Romain Bardet allait finir meilleur grimpeur.

Non c’est pas vrai.

On s’est dit qu’il fallait arrêter pour toujours le journalisme de pronostic, après avoir écrit qu’il était impossible qu’un Français gagne le Tour cette année, puis qu’un Français pouvait gagner le Tour cette année, et après avoir écrit que Julian Alaphilippe n’avait aucune chance de gagner le Tour, puis qu’il avait une chance de gagner le Tour.

On a supposé que cette banderole en carton, vue à la fenêtre d’un immeuble de Tarbes situé juste en face du parking des bus des équipes, s’adressait à Julian Alaphilippe.

On a appris avec stupéfaction que Yannick Noah n’était pas le dernier Français vainqueur du Tour, mais de Roland-Garros.

On s’est dit que la France était le plus beau pays du monde.

On n’a toujours pas réussi à établir une hiérarchie entre les Pyrénées...

... et les Alpes.

On a flippé qu’Emanuel Buchmann gagne le Tour, parce qu’il aurait fallu écrire un long papier sur Emanuel Buchmann.

On a flippé que Steven Kruijswijk gagne le Tour, parce qu’il aurait fallu écrire un long papier sur Steven Kruijswijk.

On a appris par cœur la pub pour « Comme j’aime ». On est tellement sûrs que ça va marcher que la première semaine est gratuite. Au secours.

On a constaté que les banderoles « Ça va Bardet » étaient toujours autorisées.

On a vu que la France ne s’était pas encore mise d’accord sur « Juju », « Julian » ou « Loulou ».

On a vu la foule disparaître des abords du bus AG2R-La Mondiale.

On a constaté que « Génération Pêche » était de très loin le plus gros pollueur visuel du Tour de France (juste derrière le Tour de France lui-même).

On a vu Thibaut Pinot se retenir de dégommer un journaliste de France Télévisions et préférer arrêter l’interview.

On a fait une tour de 5 bouteilles de Vittel (format 50cl), record du monde qui tient toujours.

Challenge Vittel
Durée : 00:21

On a vu Jim Ratcliffe, propriétaire d’Ineos et de l’OGC Nice, en short.

On a vu des centaines, milliers, des millions, des milliards de gens heureux.

On a déploré la façon dont le Tour privatise et enlaidit les centres-villes avec son « village départ ».

On a été rappelés à l’ordre par les éléments. Ne pas rester en t-shirt en haut du Tourmalet après 19 heures, ça se termine en sinusite. Ne pas essayer de descendre à la corde en chaussettes quand on n’a pas les biceps adéquats, ça se termine avec trois doigts brûlés (idéal pour taper à l’ordinateur).

On est entrés dans un paquet de cafés, on y a rencontré un paquet de gens, on y a entendu un paquet d’histoires. Merci à tous de nous avoir suivis. Rendez-vous à Nice en 2020. Vive les cafés, vive la République, vive la France (et la Belgique), vive le vélo.

Allez, hasta luego campeón. / CHRISTIAN HARTMANN / REUTERS