« Bruxelles doit définir une vision plus ambitieuse pour les relations euro-africaines »
« Bruxelles doit définir une vision plus ambitieuse pour les relations euro-africaines »
Par Alexandre Kateb
L’économiste Alexandre Kateb appelle Ursula von der Leyen, nouvelle présidente de la Commission, à traduire concrètement le partenariat entre l’Europe et le continent.
Les drapeaux de l’Union européenne et de l’Union africaine. / CC 2.0
Tribune. L’arrivée à la tête de l’exécutif européen d’Ursula von der Leyen n’a guère suscité d’enthousiasme. Pragmatique, la nouvelle présidente de la Commission s’est engagée à mettre fin aux combinazione qui l’ont portée au pouvoir. Au-delà de l’incontournable Brexit, son agenda sera porté par les questions de l’environnement, de l’égalité homme femme et de la justice fiscale.
Sur le plan international, Ursula von der Leyen a concentré son discours sur la sécurisation des frontières européennes, la réforme du droit d’asile et la gestion des flux migratoires. L’ancienne ministre allemande de la défense, proche d’Angela Merkel, est également connue pour son expertise sur les questions de défense et de sécurité internationale. Elle bénéficie d’une excellente image dans les pays du Sahel, où elle a œuvré aux côtés de la chancelière Angela Merkel pour renforcer les capacités des Etats et appuyer leurs efforts dans la lutte contre le terrorisme. Dans un entretien accordé à plusieurs journaux européens, elle explique de manière laconique que « la question migratoire va nous accompagner pendant des décennies » et que « des progrès ne sont possibles qu’avec un concept durable. Cela commence en Afrique, où nous devons investir énormément ». Il reste à préciser les modalités de cet investissement.
L’Union européenne (UE) est confrontée à un véritable paradoxe. Si on additionne les contributions des Etats membres et celles des institutions européennes, l’Union est le premier bailleur de fonds au monde en matière d’aide au développement. Pourtant cette action manque de visibilité et de lisibilité. Elle peine à constituer une alternative face au projet chinois de « Nouvelles routes de la soie », qui propose de répliquer sur le continent africain les recettes du miracle économique chinois : investissement massif dans les infrastructures, hausse de la productivité agricole et industrialisation.
Alors que la Chine passe du statut d’usine du monde à celui de premier marché de consommateurs au monde, les millions d’emplois industriels chinois qui pourraient être délocalisés hors du pays font rêver les pays africains. Dans la pratique, une grande partie de ces emplois sera supprimée à l’ère de l’automatisation et de l’industrie 4.0. Les usines chinoises présentes en Afrique produisent surtout pour les marchés locaux, à l’exception de quelques zones franches tournées vers l’export, en Afrique du Sud ou en Ethiopie. A contrario, l’Europe demeure le principal partenaire commercial de l’Afrique et le premier investisseur sur le continent africain.
Coopération Sud-Sud
Avec la renégociation des Accords de Cotonou, qui arrivent à échéance en février 2020, la Commission européenne doit définir une vision plus ambitieuse pour les relations euro-africaines. Les accords de Cotonou intègrent les pays d’Afrique subsaharienne mais pas ceux de l’Afrique du Nord, et traitent séparément l’Afrique du Sud. Dans la pratique comme dans l’esprit des institutions, ce format est aujourd’hui largement dépassé. En ce sens, l’intégration au budget de l’UE du Fonds européen pour le développement (FED) et son adossement au Programme d’investissement extérieur (PIE) constituerait un véritable progrès.
Mais il est nécessaire d’aller au-delà de cette approche institutionnelle. Pour cela, il est indispensable de favoriser l’émergence de pôles industriels intégrés entre les deux continents comme nous le suggérons dans l’article intitulé « Vers un partenariat euro-africain refondé », publié en juin pour la Fondation Robert Schuman. De plus, l’UE doit prendre en compte les dynamiques à l’œuvre sur le terrain, à travers l’intensification de la coopération Sud-Sud sur le continent africain, à l’initiative d’acteurs tels que le Maroc.
Depuis l’accession au trône du roi Mohammed VI, il y a vingt ans, le Maroc s’est engagé dans une diplomatie économique active pour renforcer son ancrage africain. Cette dynamique est indissociable de la transformation opérée au sein du royaume, à travers l’investissement dans les énergies renouvelables, les infrastructures maritimes et ferroviaires et l’émergence de nouvelles spécialisations industrielles (automobile, aéronautique). L’inauguration en juin d’une usine du groupe PSA à Kénitra, pour un investissement de plus d’un demi-milliard d’euros, en est une bonne illustration.
A l’ère de l’ubiquité numérique, le continent africain a su faire preuve d’une remarquable créativité, à travers des expériences d’« innovation frugale » comme celle du système de paiement électronique M-Pesa déployé au Kenya. Il s’agit aujourd’hui d’accélérer la diffusion de ces expériences à l’échelle du continent. L’Europe peut soutenir cet effort et permettre à l’Afrique de trouver sa propre voie. Elle pourrait par exemple réorienter le produit d’une éventuelle taxe écologique aux frontières de l’UE vers la mise à niveau industrielle et environnementale en Afrique.
L’« Alliance entre les continents » appelée de ses vœux par Jean-Claude Juncker s’inscrivait dans ce sens. Il incombe à Ursula von der Leyen de lui donner une traduction plus concrète et de faire du partenariat UE-Afrique un axe majeur de la politique extérieure européenne dans les cinq ans à venir.
Alexandre Kateb, économiste, est maître de conférences à Sciences-Po, spécialiste de la région Afrique du Nord-Moyen Orient et des pays émergents.