« Midsommar » : cérémonie d’horreur pour odyssée intérieure
« Midsommar » : cérémonie d’horreur pour odyssée intérieure
Par Jean-François Rauger
Ari Aster détourne le film d’épouvante pour proposer un voyage au cœur d’une psyché féminine blessée.
Isabelle Grill (premier plan ) interprète le rôle de Maja. / Csaba Aknay
La seule manière d’échapper à un sentiment de familiarité, au confort de la convention, à l’ennui qui s’impose dès qu’on s’imagine être confronté aux mécanismes d’un cinéma dit « de genre », est sans doute de multiplier les couches de récits, de brouiller les frontières du réel et de l’imaginaire, de mélanger différents registres d’images. C’est ce que réussit avec talent le cinéaste Ari Aster avec son second long-métrage. Et l’on se souvient que son précédent film, Hérédité, l’avait déjà fait remarquer comme un auteur susceptible de questionner de façon originale les conditions de l’épouvante cinématographique.
Il y a, en effet, dans Midsommar et les 2 h 20 que dure sa projection une manière de mêler diverses péripéties typiques du cinéma de terreur contemporain avant de les immerger dans un bain d’images et de sensations plus profond et plus large que ce qu’imposerait la simple rhétorique du genre. Cette ambition est la marque d’un orgueil qui pourrait facilement se retourner contre son auteur ou, au contraire, qui permettrait de dépasser avec bonheur un cahier des charges désormais très usé, celui du film d’horreur.
Le récit débute abruptement. Dans la catastrophe et le malaise. La catastrophe, c’est la mort des parents de la jeune femme au centre du récit, Dani. C’est la sœur dépressive de celle-ci qui les a tués avant de se suicider. Le malaise, c’est la relation qu’entretient Dani avec son petit ami Christian, relation sur le point de s’effondrer, comprend-t-on, jusqu‘à ce que l’accident fatal les rapproche à nouveau, retissant un lien dont la fragilité va constituer un enjeu tout autant qu’une cause de suspense.
Rites païens
Dani se joint à un projet, lancé par un ami de Christian, étudiant comme lui en anthropologie : passer, avec quelques-uns de leurs camarades, une partie de l’été au cœur d’une communauté rurale en Suède et assister à une cérémonie particulière se déroulant tous les quatre-vingt-dix ans. A ce moment-là, le spectateur pourrait avoir le sentiment de se retrouver en terrain connu. Un des ressorts de l’épouvante moderne ne réside-t-il pas dans la terreur de l’altérité géographique, dans le sentiment, désormais diffus dans le cinéma américain d’horreur, que le monde extérieur aux Etats-Unis est fondamentalement menaçant ?
Le groupe de « touristes » a beau assister, ainsi, durant la première partie du film, dans un paysage verdoyant où le soleil ne se couche jamais, à une série de rituels pastoraux et lénifiants, vécus intensément grâce à l’ingestion de substances diverses, la menace est immédiatement palpable et l’appréhension tangible. Les protagonistes, auxquels les spectateurs s’identifient en découvrant avec eux les différentes cérémonies de la communauté, sont plongés au cœur d’un monde relevant tout autant de la tribu hippie rescapée des années 1970 que de la secte new age pratiquant le respect des anciens et l’harmonie avec la nature ou d’une publicité pour un yaourt. C’est parce que tout semble fait pour éloigner la peur que celle-ci, évidemment, s’impose.
La violence fait soudainement irruption durant l’enchaînement des rites païens auxquels les personnages assistent, une violence qui n’en serait pas la négation mais en ferait intégralement partie. La profonde qualité du film d’Ari Aster repose sur cette manière d’égarer un spectateur s’identifiant à des protagonistes pourtant peu sympathiques, plongés eux-mêmes au cœur d’un univers dont tout annonce qu’il pourrait devenir franchement hostile, voire mortel.
C’est à l’instant où l’étrangeté devient angoissante que le registre de Midsommar semble insensiblement se déplacer vers autre chose que la simple gestion des frissons d’un amateur d’épouvante. Les cérémonies qui se succèdent à un rythme de plus en plus intensif apparaissent, en effet, comme les allégories consolantes d’un cycle particulier et toujours recommencé, celui de la vie elle-même, de la conception à la mort. Celles-ci n’apportent-elles pas, progressivement, des réponses à ce qui pourrait être la quête profonde de l’héroïne, la recherche du sens de ce qui lui arrive – soit la mort de ses parents et l’absence d’amour de son petit ami ?
La disparition brutale des aînés est ainsi une étape initiatique obligatoire, l’affirmation d’une prescription naturelle, et l’infidélité du compagnon apparaît comme un impératif obscur et supérieur, couronné par le sacrifice de celui-ci. L’univers mis en scène par le film, fantaisiste et folklorique de prime abord, devient purement mental, se réduisant désormais à la représentation métaphorique des malheurs de la jeune femme et à leur signification, désormais inscrites dans une vaste cosmogonie et absorbées dans un gigantesque vortex à l’intérieur duquel toute question trouve sa réponse.
On peut ainsi voir Midsommar comme un voyage au cœur d’une psyché féminine blessée, un récit labyrinthique qui permet à l’héroïne de donner sens à ses meurtrissures, à son deuil et à sa paranoïa en quittant progressivement le domaine du cinéma d’épouvante classique. On passe du naturalisme narratif du genre à une odyssée intérieure au cœur d’un univers fait de purs symboles, un univers qui aurait remplacé le monde réel par une hallucination. A un authentique art fantastique.
MIDSOMMAR - Bande annonce VOST
Durée : 02:33
Film américain d’Ari Aster. Avec Florence Pugh, Jack Reynor, Will Poulter (2 h 20). Sur le Web : www.metrofilms.com/films/midsommar, www.facebook.com/MetropolitanFilms/