La polémique sur le rapport de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) au sujet de la mort de Steve Maia Caniço est telle que ses dirigeants sortent du silence pour justifier l’enquête administrative. La directrice du service, Brigitte Jullien, et le chef de l’unité de coordination des enquêtes, David Chantreux, ont défendu la synthèse de neuf pages, dans les colonnes de Libération, dimanche 4 août. Une mise au point qui intervient au lendemain de heurts entre des manifestants venus rendre hommage à Steve Maia Caniço, dans le centre de Nantes, et les forces de l’ordre présentes sur place.

« Nous n’avons jamais eu la volonté de blanchir qui que ce soit », a affirmé David Chantreux, qui rappelle que l’enquête administrative ne constitue pas « la fin de l’histoire ». Une procédure judiciaire a été ouverte par le procureur de Nantes, mardi 30 juillet, alors que l’enquête de l’IGPN est, elle, « prédisciplinaire », a expliqué Brigitte Jullien.

« L’emploi de la force était légitime »

Brigitte Jullien, directrice de l’IGPN, le 13 juin, à Paris. / STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Accusés de protéger les fonctionnaires de police même lorsqu’ils font un usage disproportionné de la force, les fonctionnaires ont maintenu que la riposte était, ici, justifiée. « L’emploi de la force était légitime en réaction à des jets de projectiles », affirme la directrice du service. Même son de cloche pour M. Chantreux : « A partir du moment où ils prennent ces projectiles, pour nous, juridiquement, ils sont légitimes à riposter. » Et ce, malgré la proximité du fleuve.

Les deux interviewés se refusent aussi à évoquer une quelconque « charge policière ». Les vidéos qu’ils ont visionnées ne montrent pas de « policiers (qui) courent, clairement, en groupe, vers l’avant, munies d’armes de maintien de l’ordre », soutient M. Chantreux. Quant au fait que la synthèse ignore les témoins qui affirment dans les médias être tombés à l’eau à cause de l’intervention policière, M. Chantreux botte en touche : « Peut-être que nos enquêteurs ne l’ont pas vu, je ne sais pas. »

Cependant, « on ne dit pas qu’il n’y a aucune possibilité qu’il y ait un lien entre la chute de Steve et l’intervention de police, ou que la victime est tombée pour une tout autre cause. On dit simplement qu’on n’a pas établi un lien avec les moyens d’une enquête administrative », a affirmé M. Chantreux.

Les moyens d’une enquête administrative

JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

Les dirigeants de la police des polices ont insisté sur les moyens limités qu’ils possèdent en comparaison avec le corps judiciaire. « Il n’est par exemple pas possible d’accéder aux procès-verbaux de plainte. On ne peut pas non plus convoquer des tiers, ils doivent se présenter spontanément », a énuméré Mme Jullien.

Les fonctionnaires ont aussi rappelé que la justice n’avait pas le droit de leur fournir des pièces de l’enquête judiciaire, l’IGPN étant considérée comme n’importe quelle administration. Ils doivent rester entièrement indépendants. « Nos enquêtes, leurs conclusions, ne sont jamais lues par qui que ce soit avant que je les signe. Ni par le directeur général [Eric Morvan] ni par le ministre de l’intérieur [Christophe Castaner] », a affirmé Mme Jullien.

Les responsables ont aussi été invités à évoquer la question des violences policières – une expression qu’ils réfutent –, de manière plus globale. Quand un civil est blessé ou meurt lors d’une opération de maintien de l’ordre, il est difficile d’identifier le policier ou les policiers responsables à l’origine des violences. Pour M. Chantreux, interrogé sur les enquêtes sur les « gilets jaunes » blessés, « des policiers de l’IGPN ont parfois visionné des centaines d’heures de vidéos pour parvenir à une authentification », ce qui pourrait « interroger sur le coût que ça représente pour le contribuable ». Pas sûr que les manifestants qui ont perdu un œil partagent son analyse.