A un mois du Mondial, le XV de France rêve encore
A un mois du Mondial, le XV de France rêve encore
Par Adrien Pécout
Des Bleus en reconstruction affrontent l’Ecosse, samedi à Nice, lors du premier match préparatoire à la Coupe du monde qui débutera le 20 septembre au Japon.
Ci-gît l’Anglais William Webb Ellis (1806-1872). Le père putatif du rugby est inhumé, on ne sait trop pourquoi, dans un cimetière de Menton (Alpes-Maritimes). A quelques kilomètres de là, à Nice, où ils s’apprêtent à recevoir l’Ecosse, samedi 17 août, pour le premier de leurs trois matchs de préparation à la Coupe du monde au Japon (coup d’envoi le 20 septembre), les joueurs du XV de France ont une énigme plus urgente à résoudre que celle de cette sépulture : comment renaître de leurs cendres ?
Comment, en quelques semaines de labeur estival, rattraper des années de retard sur les nations favorites ? Et, accessoirement, métamorphoser ce groupe en autre chose qu’une machine à perdre, avec notamment sept défaites sur ses dix derniers matchs ? Des questions pour l’instant sans réponse, mais que les Bleus ont désormais l’habitude de se poser, chaque été, tous les quatre ans, lorsque le Mondial approche et qu’il est encore un fantasme, ouvert à tous les possibles. « Plus ça rate, plus il y a de chances que ça marche », si l’on schématise la pensée toujours rassurante des Shadoks.
La métaphysique de ces drôles d’oiseaux télévisés pourrait très bien convenir à Jacques Brunel. Après deux saisons déprimantes au possible, le sélectionneur du XV de France fonde beaucoup d’espoirs sur ces semaines de rodage collectif, « un moment unique pour pouvoir travailler ensemble ». Pour les joueurs, la préparation s’apparente aussi à « une parenthèse dans la vie de tous les jours », reconnaît le pilier Jefferson Poirot.
Certains, comme le Bordelais, ont débuté dès le 25 juin. Les finalistes du championnat de France, Toulousains et Clermontois, ont complété le groupe à partir du 6 juillet. Déduction faite des jours de repos, les uns et les autres comptent déjà tous entre 31 et 37 jours de stage en commun. D’abord au siège fédéral de Marcoussis (Essonne), puis en bord de Méditerranée : au stade Louis-II, sur le terrain des footballeurs de Monaco ; en Espagne, près de Valence ; à Nice, enfin. Des lieux de villégiature choisis pour que les joueurs s’entraînent à la dure, sous un soleil supposé aussi éprouvant que les températures et l’humidité prévues en Asie.
Première Coupe pour Poirot
Solide programme, rappelle Poirot, pour des rugbymen d’ordinaire dispersés dans leurs clubs respectifs : « Au cours des quatre prochaines années, on n’aura jamais autant de temps que maintenant pour se préparer à une compétition avec l’équipe de France. » Poirot, 26 ans, vit sa première préparation à une Coupe du monde. Les anciens lui rappelleront peut-être les mots de Philippe Saint-André en 2015. Le sélectionneur d’alors avait promis un état d’esprit « “commando”, du gros travail et beaucoup d’investissement ». Moralité : un été passé à trimer sur des vélos d’entraînement, puis à souffrir en haute altitude, avant un automne à toussoter pendant le Mondial, conclu sur une défaite désastreuse en quart de finale contre la Nouvelle-Zélande (62-13).
Ces semaines partagées ne sont évidemment pas de trop, tant cette équipe de France a quitté le dernier Tournoi des six nations en mal d’automatismes, en manque de repères collectifs, avec une triste quatrième place au final. « On ne travaille pas assez à l’entraînement les choses du haut niveau », estimait Morgan Parra, en février, après une déroute en Angleterre (44-8), l’un des futurs adversaires des Bleus au Mondial, dans le groupe C, avec l’Argentine, les Tonga et les Etats-Unis. Depuis, le demi de mêlée clermontois n’a jamais plus été convoqué en sélection nationale. A l’inverse de son coéquipier en club, l’ouvreur Camille Lopez, qui avait pourtant également émis des critiques sur l’encadrement et qui sera titulaire samedi contre le XV du Chardon.
Comme en 2015, le XV de France a appelé le GIGN à la rescousse. Le groupe d’intervention de la gendarmerie nationale a animé, en juillet, une journée dite de cohésion. Même Brunel a donné de sa personne, sautant à l’élastique tête la première. « Un chef, ça montre l’exemple ! », l’ont complimenté les gendarmes sur le réseau social Twitter. Ceux-ci omettent pourtant un point important : c’est un autre homme, aujourd’hui, qui dirige les troupes sur le terrain. Officiellement, depuis mai, Fabien Galthié a pris ses fonctions d’adjoint chargé de l’animation offensive. Officieusement, il organise les séances comme s’il avait déjà endossé l’habit de sélectionneur principal ; ce qu’il fera pour de bon en novembre, après la Coupe du monde.
Pour le moment, Brunel parle à la presse, Galthié, aux joueurs. Ces derniers assurent s’accommoder de la situation. « On fait de braves journées, souffle l’arrière Maxime Médard. On travaille plus sur de l’explosivité, pour essayer de vite rattraper les autres nations. » Le Toulousain, toujours reconnaissable à ses rouflaquettes, parle en finaliste du Mondial 2011. « Les premières semaines, tu sais que tu es là pour souffrir. »
Méthodes remuantes de Thibault Giroud
Certains ont déjà souffert plus que d’autres. Le Rochelais Geoffrey Doumayrou en particulier : le trois-quarts centre a quitté le groupe jeudi 15 août, forfait pour la Coupe du monde après une lésion à un talon d’Achille. « Si tu arrives à avoir une prépa avec zéro blessé, notamment une comme celle-ci, avec beaucoup de courses rapides à répétition, tu es fort », considère le Clermontois Wesley Fofana. Lui aussi a découvert les méthodes remuantes de Thibault Giroud, le préparateur physique qu’a exigé Galthié pour le XV de France.
De moindre gravité, d’autres blessures ont déjà contraint certains de ses coéquipiers à renoncer au premier test de samedi contre l’Ecosse. Cela vaut pour le talonneur et capitaine, Guilhem Guirado (côte fracturée), comme pour les troisièmes lignes Yacouba Camara et Wenceslas Lauret (ischio-jambiers), ou encore le demi de mêlée Maxime Machenaud (cuisse). Ceux-là devraient être remis dès la semaine prochaine pour le second test-match, de nouveau contre l’Ecosse, samedi 24 août, à Edimbourg. Vendredi 30, la France affrontera ensuite les Italiens, non pas à Nice, pourtant ville natale de Garibaldi, mais à Saint-Denis, sur la pelouse du Stade de France. Soit trois jours avant la date limite pour nommer la liste des 31 joueurs – sur les 37 stagiaires – qui s’envoleront pour le Japon. Avec cette crainte légitime : éviter de devenir la première équipe de France, en neuf éditions du trophée William-Webb-Ellis, à se faire évincer dès le premier tour.