Les sites de désinformation touchent chaque année 235 millions de dollars grâce à la publicité
Les sites de désinformation touchent chaque année 235 millions de dollars grâce à la publicité
Par Alexandre Berteau
De nombreuses marques n’ont pas conscience que leurs encarts publicitaires se retrouvent sur des sites relayant de fausses informations.
En juin, seize annonceurs mondiaux (Danone, Unilever, Bayer, LVMH, Mondelez…) se sont associés pour former une alliance avec les géants Facebook, Google et Twitter et les grandes agences de publicité. / ERIC BARADAT / AFP
Les fausses informations ont le pouvoir de déstabiliser des élections, mais elles se révèlent être aussi, plus prosaïquement, un marché très lucratif pour les sites Internet qui les diffusent. Elles leur rapportent chaque année plus de 235 millions de dollars (212 millions d’euros) de revenus publicitaires, selon une étude de l’ONG Global Disinformation Index (GDI) réalisée pour la chaîne CNN, à partir de 20 000 sites soupçonnés de propager délibérément des informations erronées. Un chiffre qui ne reflète que « la partie émergée de l’iceberg », a précisé sur CNN le numéro deux du GDI, Danny Rogers, dimanche 18 août.
Bien souvent, les marques se retrouvent à financer à leur insu ce type de sites, la destination de leurs publicités étant en partie pilotée par des algorithmes. Selon les observateurs, ces situations pourraient être évitées si les plates-formes publicitaires auxquelles les marques font appel retiraient les sites de désinformation de leur catalogue. Dimanche, M. Rogers les a ainsi appelées à « plus de transparence » pour permettre aux annonceurs de connaître les éditeurs étant amenés à afficher leurs réclames. Le laxisme des marques est toutefois aussi parfois montré du doigt, certaines ne se préoccupant pas particulièrement de savoir si leurs bannières commerciales se retrouvent au milieu d’articles fallacieux.
Plusieurs organisations se chargent de les alerter. L’une des plus actives d’entre elles, Sleeping Giants, interpelle les entreprises publiquement sur Twitter. Le collectif est né aux Etats-Unis en 2016, au lendemain de l’élection de Donald Trump à la présidence, après une campagne marquée par la diffusion massive de fausses informations sur les réseaux sociaux. Depuis sa création, plus de 4 000 entreprises ont retiré leurs encarts publicitaires du site conspirationniste d’extrême droite Breitbart News, anciennement dirigé par l’ex-conseiller du président américain Steve Bannon.
Enjeu de taille pour l’image des entreprises
Sleeping Giants dispose d’une antenne en France, où d’autres acteurs s’attachent aussi à assécher le financement des sites de désinformation, à l’image de Ripost ou Stop Hate Money, spécialisés dans la lutte contre les contenus haineux. Les éditeurs visés, comme Boulevard Voltaire, cofondé par Robert Ménard, le maire de Béziers proche du Rassemblement national, y voient une opération avant tout politique. Le site, condamné en 2014 pour incitation « à la discrimination et à la haine contre l’ensemble des musulmans », a porté plainte fin mai contre Sleeping Giants pour discrimination liée aux « opinions politiques » ayant entravé une activité économique.
L’enjeu est de taille pour l’image des entreprises qui, en plus de la désinformation et de la haine en ligne, courent le risque de voir leurs publicités associées à des contenus violents ou pédopornographiques. En février, plusieurs grands annonceurs comme Nestlé, McDonald’s, Disney ou encore AT&T ont suspendu leurs campagnes publicitaires sur YouTube après avoir découvert que leurs réclames apparaissaient au début de vidéos anodines de petites filles largement commentées par des pédophiles.
Les différents acteurs du marché publicitaire veulent aujourd’hui se montrer proactifs sur ce sujet. En juin, à l’occasion de la grand-messe annuelle du secteur, le festival Cannes Lions, seize annonceurs mondiaux (Danone, Unilever, Bayer, LVMH, Mondelez…) se sont associés pour former une alliance avec les géants Facebook, Google et Twitter et les grandes agences de publicité (GroupM, Publicis). Si ses prérogatives restent encore floues, cette coalition doit permettre à ces maillons de la chaîne de mieux collaborer, et en particulier aux marques de pousser les grands réseaux sociaux à une meilleure régulation des contenus haineux et de désinformation.