Qui travaille vraiment 35 heures ?
Qui travaille vraiment 35 heures ?
Par Samuel Laurent
Emmanuel Macron se dit prêt à mettre fin « de facto » à ce temps de travail hebdomadaire officiel. Mais quinze ans après leur entrée en vigueur, les 35 heures restent une durée plus théorique que réelle.
Le temps de travail hebdomadaire officiel restera-t-il à 35 heures ? Il pourrait être modulé dans les entreprises par « des accords majoritaires », a déclaré le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, vendredi 22 janvier en mage du forum de Davos, en Suisse.
En septembre, un sondage, publié dans Libération, montrait un pays divisé autour de la question du temps de travail, une courte majorité (52 %) souhaitant rester à 35 heures hebdomadaires, quand 40 % se disent prêts à y renoncer.
1. Mesurer le temps de travail, une gageure
Depuis les lois Aubry, les Français doivent, théoriquement, effectuer 35 heures de travail hebdomadaires pour un plein-temps, contre 39 auparavant.
Mais comment compter le temps de travail ? La question est complexe.
Le calcul le plus classique se fait à partir des grandes masses d’heures travaillées par an, ramenées au nombre de travailleurs concernés, ce qui permet notamment de comptabiliser les congés et les maladies.
Et selon celle-ci, les Français travaillent effectivement, en moyenne, plus : 39,6 heures pour les personnes à plein-temps, et 39 heures – tout rond – pour les seuls salariés. Ce qui place la France dans le bas du tableau européen, devant les Pays-Bas, l’Italie ou le Danemark, mais bien loin du Royaume-Uni, recordman de la durée de travail hebdomadaire avec 42,4 heures.
Mais ce chiffre est en réalité très approximatif. Il est en effet très complexe de recueillir des données précises autrement que par des enquêtes type sondages. Faut-il par exemple décompter le temps des salariés absents, ce qui fait évidemment chuter la moyenne ?
C’est d’ailleurs pour cela que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ne donne pas le même chiffre que la statistique française et européenne. Pour cet organisme, les Français (salariés et non salariés à plein-temps) travaillent en moyenne 37,3 heures, ce qui les place… au-dessus des Allemands, contrairement au classement d’Eurostat.
L’affaire est d’autant plus complexe que ce chiffre a une forte dimension symbolique. Son calcul a donné lieu à plusieurs controverses entre instituts.
Et les choses se compliquent encore si on rentre dans les détails : on parle ici des salariés à plein-temps. Mais les temps partiels ou les travailleurs indépendants doivent également être comptabilisés. Autant de points qui rendent toute comparaison internationale délicate, un paradoxe alors que ce chiffre est l’un de ceux qui reviennent le plus souvent dans le débat.
La réduction du temps de travail a donc imposé une baisse du nombre d’heures travaillées par an, qui, d’ailleurs, est dans la continuité des baisses observées dans le monde occidental depuis les années 1950.
Depuis 2000, le nombre d’heures travaillées par an s’est stabilisé, à un niveau moindre qu’auparavant. Mais le nombre d’heures effectuées par semaine, lui, est resté globalement stable, comme le montre une seconde enquête.
2. Plus de vacances, mais des journées aussi longues que dans les années 1990
La durée légale du travail n’est pas la durée réelle : elle comptabilise un agrégat, plus ou moins précis, pas ce qu’effectue chaque salarié. Or, rares sont ceux qui se contentent de 35 heures sans jamais effectuer d’heure supplémentaire.
A cet égard, la mesure qu’effectue la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère de l’emploi (Dares) sur la « durée individuelle » et « habituelle » du travail est intéressante : via des entretiens individuels, elle demande à chaque personne d’indiquer combien de temps elle a travaillé sur une semaine « normale », sans événement particulier (maladie, par exemple).
Elle inclut donc toutes les heures habituellement effectuées, dont les heures supplémentaires régulières. Elle se différencie de la durée collective notamment par les jours de congés ou jours de RTT prévus pour tel ou tel salarié.
Cette mesure correspond donc à la « journée » habituelle d’un individu et ne tient pas compte des congés. Et elle est plutôt stable depuis 1990 : à cette époque, les salariés déclaraient 39,6 heures, ils sont, en 2013, à 39,2 heures. Ce sont les non-salariés qui voient leur temps de travail se réduire le plus, passant de 54,6 heures à 51,7 heures.
3. Des chiffres variables selon les catégories, mais supérieurs à 35 heures
Si on ventile ce chiffre du temps de travail individuel selon la catégorie socioprofessionnelle, on observe la même chose : qu’il s’agisse de cadres, d’employés, d’ouvriers ou de professions intermédiaires, aucune catégorie n’est réellement à 35 heures hebdomadaires.
Ainsi, selon la Dares, un cadre travaille en moyenne 44,1 heures par semaine, contre 38,3 heures pour un employé et 38 heures pour un ouvrier.
Dans la pratique donc, les salariés ont surtout plus de vacances aujourd’hui que dans les années 1990. Mais leur rythme de travail lorsqu’ils travaillent, lui, n’a pas évolué depuis une trentaine d’années, et reste en général plus proche des 39 heures que des 35.