« Trepalium », le cauchemar d’un futur ultralibéral
« Trepalium », le cauchemar d’un futur ultralibéral
Par Martine Delahaye
Dans une cité séparée par un mur, la résistance s’organise, côté ville et côté zone, pour combattre une gouvernance inhumaine (jeudis 11 et 18 février à 20 h 55 sur Arte).
Trepalium (Série ARTE) - Bande annonce VO
Durée : 01:18
Dans une cité séparée par un mur, la résistance s’organise, côté ville et côté zone, pour combattre une gouvernance inhumaine.
Première image, une inscription sur fond noir : « Trente ans après la construction du mur. » D’un côté « la ville », où des employés à demi robotisés évoluent dans un univers glacé et glaçant ; de l’autre, « la zone », où vivent, parqués dans un camp, les laissés-pour-compte, réfugiés économiques interdits en ville. « Si on a construit ce mur, indique un personnage au cours de la série, c’est parce que c’était la seule solution ; sinon, tout allait s’effondrer. On a sauvé ce qui pouvait l’être encore. (…) Je sais que notre choix était le bon. »
La première ministre Nadia Passeron (Ronit Elkabetz) en famille avec sa fille Zoey (Sarah Stern), en charge de la communication, et son époux Monroe Moretti (Grégoire Monsaingeon), ministre du travail. | KELIJA/JEAN-CLAUDE LOTHER
Dans l’univers de « Trepalium », notre monde, envisagé avec un peu d’anticipation, a donc abouti à une société binaire. Le mur y protège les 20 % d’« actifs » – terrifiés à l’idée d’être licenciés faute de performances suffisantes – des 80 % de « zonards » qui rêvent d’un emploi et craignent, eux, « la maladie bleue » qu’entraîne la pollution de l’eau. Seule la peur existe, des deux côtés à la fois. Voilà ce dont le mur est fait.
TREPALIUM, teaser 1 - ARTE
Durée : 00:46
« Cela fait plus de dix ans qu’avec Sophie Hiet nous avons amorcé une réflexion sur le travail, de plus en plus assimilé à de la souffrance », explique Antarès Bassis, coscénariste de « Trepalium ». « Ce qui nous intéresse avant tout, ce sont les répercussions que cela peut avoir sur les relations familiales et sociales, ainsi que sur la place que le travail représente pour l’individu, pour son identité. »
Travail robotisé
De fait, la vision du monde polaire et impersonnel que décrit la série diffusée sur Arte ne relèverait que du cauchemar si l’on ne montrait pas la résistance qui s’organise de chaque côté du mur. En ville, certains combattent la politique de la terreur et du travail robotisé ; dans la zone, des hommes se démènent pour infiltrer le système informatique du pouvoir et lutter contre ce mode de gouvernance inhumain.
Léonie Simaga (au centre) interprète Izia Katell qui doit élever seule son enfant Noah (à sa gauche, joué par Nemo Schiffmann). | KELIJA/JEAN-CLAUDE LOTHER
Des « activistes » de la zone, en effet, viennent de passer un accord avec la ville. Nadia Passeron, chef du gouvernement (interprétée par Ronit Elkabetz), traverse le mur, pour la première fois depuis dix ans, afin d’y récupérer son mari, ministre du travail, qui y était retenu en otage depuis un an. Contre cette libération, elle s’est engagée à fournir un travail à 10 000 zonards, qui chaque jour franchiront un « checkpoint » pour aller travailler en ville, avant de retourner en zone le soir.
TREPALIUM, teaser 2 - ARTE
Durée : 00:43
« Je n’ai pas eu le choix, explique-t-elle à son mari dans la voiture qui les ramène du bon côté du mur après sa libération. Les dirigeants de la Banque internationale refusent de nous donner les fonds annuels. Ils ont peur que la zone explose. J’ai proposé cette mesure pour les rassurer. »
Conte cauchemardesque
Ces 10 000 zonards dûment sélectionnés seront arbitrairement affectés à des familles en ville en tant que « solidaires », même si personne ne veut de ces inconnus venus d’ailleurs, sans doute dangereux. Ce qui vaut par exemple pour l’ingénieur Ruben Garcia (Pierre Deladonchamps), à qui l’on va imposer, chaque jour dans sa maison, « la solidaire » Izia (Léonie Simaga).
TREPALIUM, teaser 3 - ARTE
Durée : 00:43
Imaginée par les jeunes scénaristes Antarès Bassis et Sophie Hiet, « Trepalium » évoque donc des thèmes liés à l’actualité. L’univers visuel rétrofuturiste choisi par le réalisateur belge Vincent Lannoo – costumes, coiffures, maquillages, etc., renvoient à l’esthétique des années 1970 – et l’extrapolation d’un avenir sombre vers lequel peut mener l’ultralibéralisme en font un conte cauchemardesque presque actuel. Mais il est souvent trop désincarné pour nous toucher et nous permettre de nous attacher aux personnages, en dépit de la performance des comédien (ne) s, au premier rang desquels Léonie Simaga et Ronit Elkabetz.
TREPALIUM, extrait 4 - ARTE
Durée : 00:17
En outre, on ne peut que regretter que la dernière image de la série, rebondissement incompréhensible, nuise à la cohérence de l’ensemble. La chaîne Arte et la production (Katia Raïs) ne s’en sont pas cachées : de très longues tergiversations les ont opposées entre deux fins possibles. Or leur choix final parie sur une surprise qui altère la cohérence du scénario.
Il n’empêche, l’anticipation est un genre encore trop peu défriché en France pour ne pas saluer la volonté d’Arte et des scénaristes de s’y essayer. Comme ceux-ci le rappellent en ouverture de leur série, en reprenant l’auteur américain Ray Bradbury : « Il faut sans cesse se jeter du haut d’une falaise et se fabriquer des ailes durant la chute. »
« Trepalium », saison 1, série créée par Antarès Bassis et Sophie Hiet. Avec Léonie Simaga, Ronit Elkabetz, Pierre Deladonchamps, Aurélien Recoing, Olivier Rabourdin (France, 2015, 6 × 52 minutes). Diffusion en deux soirées, les jeudis 11 et 18 février à 20 h 55, sur Arte.