Après douze jours à l’aéroport de Roissy, Ibrahim, 8 ans, va pouvoir rester en France
Après douze jours à l’aéroport de Roissy, Ibrahim, 8 ans, va pouvoir rester en France
Par Maryline Baumard
La justice a autorisé ce Comorien arrivé le 21 mars à vivre avec sa grand-tante.
A 8 ans, Ibrahim vient de passer douze jours enfermé dans un appartement, entouré de barbelés, au bout d’une piste de l’aéroport de Roissy. Après trois passages devant un juge et un refus d’embarquer vers les Comores vendredi matin 1er avril, il a finalement pu rejoindre, en fin de journée, l’appartement de sa grand-tante, à qui il a été officiellement confié.
Ibrahim se souviendra sans doute longtemps de ces premiers jours en France. Lundi 21 mars, le garçon, qui vient de parcourir seul les 8 000 kilomètres qui séparent les Comores de la France, atterrit à Roissy. Sa grand-tante, qui vit ici, est venue en famille l’accueillir. Elle ne le verra pourtant pas car le passeport français qu’Ibrahim présente à la sécurité ne convainc pas la police aux frontières.
Et pour cause, le passeport qu’il présente est celui de son cousin qui a trois ans de moins que lui. Le garçon est emmené directement sous bonne escorte en zone d’attente pour personnes en instance (ZAPI). Un lieu carcéral, entre la zone de fret et une piste de l’aéroport, où il partage l’espace pour mineurs avec deux jeunes de 16 et 17 ans.
Sa grand-tante a prêté le passeport
La ZAPI de Roissy est la plus fréquentée des 67 que compte le pays. En 2014, elle a reçu à elle seule 80 % des personnes qui n’ont pas été autorisées à entrer sur le territoire à la descente de leur avion ; soit 8 931 personnes. Les gares internationales, les ports et les aéroports, ont chacun la leur. Globalement, 57 % de ceux qui y sont envoyés sont refoulés.
Le garçon est donc resté enfermé là jusqu’à sa première présentation, le 24 mars, devant le juge des libertés et de la détention, qui décide de prolonger sa situation « dans l’intérêt de la protection de l’enfant ». Contestée par Catherine Daoud, l’avocate d’Ibrahim, la décision est confirmée le lendemain par la cour d’appel de Paris.
Depuis, une enquête menée auprès de la maman de l’enfant, aux Comores, a corroboré l’explication initialement donnée par sa grand-tante. « La mère d’Ibrahim a décidé d’envoyer son fils en France car elle ne peut pas subvenir aux besoins de l’enfant ni payer sa scolarisation », rappelle Catherine Daoud. C’est d’ailleurs sa grand-tante qui a prêté le passeport de son propre fils de 5 ans pour tenter le passage d’Ibrahim, et qui payait la scolarité depuis quelque temps déjà.
244 enfants enfermés à Roissy en 2014
Et comme une péripétie n’arrive jamais seule, vendredi 1er avril, il s’en est fallu de peu pour qu’Ibrahim se retrouve dans l’avion avant sa deuxième présentation au juge des libertés.
« Jeudi 31 mars au soir, on nous avait promis ne pas tenter de renvoi de cet enfant avant son passage devant le juge. Vendredi, nous étions arrivés en salle d’audience lorsqu’on nous a annoncé qu’Ibrahim avait été emmené à l’aéroport pour être renvoyé aux Comores », raconte Catherine Daoud.
« Confronté à ses cris et à ses demandes de rester ici avec sa grand-tante, le commandant de bord a refusé d’embarquer l’enfant », ajoute cette dernière, qui l’a vu arriver épuisé et « totalement mutique ensuite ». A l’issue de l’audience, la juge a décidé qu’il ne retournerait plus en zone d’attente et, vendredi après-midi, il a finalement été confié à sa famille. « Celle-ci sera convoquée dans les huit jours par le juge des enfants qui devra s’assurer des conditions d’éducation et de scolarisation », ajoute l’avocate.
Cette dernière, comme Laure Blondel, de l’Anafé – l’association qui offre une aide juridique en zone d’attente –, dénonce l’enfermement d’enfants étrangers à leur arrivée en France, alors qu’il existe des solutions alternatives. « Au premier semestre 2015, 101 mineurs isolés ont été privés de liberté. Et si l’on s’arrête sur Roissy, ce sont 244 enfants qui y ont été enfermés en 2014, dont 45 avaient moins de 13 ans », ajoute la jeune femme. En juin 2015, deux fillettes, une Ivoirienne de 3 ans et une Française de 6 ans, y avaient été retenues respectivement cinq et quatre jours, avant d’être relâchées face au tollé médiatique. Le défenseur des droits instruit toujours ce dossier et est intervenu dans l’affaire d’Ibrahim.
« Victimes de l’administration »
Jacques Toubon s’est en effet « indigné de l’enfermement de ce si jeune enfant, en violation de la Convention relative aux droits de l’enfant ». Il « s’interroge également sur la décision qui aurait été prise de tenter de le réacheminer le matin même vers les Comores alors que l’audience devant le juge des libertés et de la détention, chargé de se prononcer sur son maintien en zone d’attente, était prévue à 11 heures ».
Dans un communiqué, M. Toubon ajoute que « ces récents événements ne font que conforter les inquiétudes du défenseur des droits s’agissant de la multiplication du recours à l’enfermement des enfants étrangers ». La pratique est jugée d’autant plus inappropriée qu’en France, un enfant de moins de 13 ans ne peut logiquement, au regard du droit, être enfermé, et que le 20 février 2012, le candidat François Hollande avait écrit au Réseau éducation sans frontières : « Je prends un engagement : celui de refuser la rétention des enfants. »
Si des enfants étrangers fréquentent régulièrement les zones d’attente, d’autres sont enfermés dans les centres de rétention administrative, le dernier maillon avant un renvoi par-delà les frontières des personnes déjà sur le territoire français. « Nous pointons chaque année les familles qui y sont enfermées avec des enfants, mais nous ne devons pas oublier que plusieurs centaines de mineurs isolés s’y retrouvent aussi enfermés, regrette David Rohi, de la Cimade, association qui vient en aide aux étrangers. Ils sont des victimes de l’administration, qui fixe arbitrairement leur âge en se fiant aux résultats des tests osseux, qui présentent une marge d’erreur de deux ans… »