D’UBS aux « Panama papers », une décennie de scandales financiers (et ce qu’ils ont changé)
D’UBS aux « Panama papers », une décennie de scandales financiers (et ce qu’ils ont changé)
Par Mathilde Damgé, Maxime Vaudano
D’UBS aux « Panama papers », les révélations des documents panaméens sont les dernières en date d’une série d’affaires qui s’étendent de l’Europe à la Chine, en passant par les Etats-Unis.
Les révélations des documents panaméens viennent s’ajouter à une liste de scandales financiers qui s’étendent de l’Europe à la Chine, en passant par les Etats-Unis. | Quentin Hugon/Le Monde
Les « Panama papers » révélés par Le Monde et ses partenaires internationaux sont le dernier en date d’une longue série de scandales financiers, qui ont chacun levé à leur façon une partie du voile sur le monde opaque des paradis fiscaux, de la fraude fiscale et du blanchiment d’argent.
- 2008 : le scandale UBS
- 2013 : les Offshore Leaks
- Janvier 2014 : les China Leaks
- Novembre 2014 : les Luxembourg Leaks
- 2015 : Swiss Leaks, les listings HSBC
Les « Panama papers » en trois points
- Le Monde et 108 autres rédactions dans 76 pays, coordonnées par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), ont eu accès à une masse d’informations inédites qui jettent une lumière crue sur le monde opaque de la finance offshore et des paradis fiscaux.
- Les 11,5 millions de fichiers proviennent des archives du cabinet panaméen Mossack Fonseca, spécialiste de la domiciliation de sociétés offshore, entre 1977 et 2015. Il s’agit de la plus grosse fuite d’informations jamais exploitée par des médias.
- Les « Panama papers » révèlent qu’outre des milliers d’anonymes de nombreux chefs d’Etat, des milliardaires, des grands noms du sport, des célébrités ou des personnalités sous le coup de sanctions internationales ont recouru à des montages offshore pour dissimuler leurs actifs.
1. Le scandale UBS (2008)
La banque suisse UBS s'est retrouvée en 2008 au cœur d'un scandale pour avoir facilité l'évasion fiscale de riches Américains. | AFP
Qui en était à l’origine ? Les autorités américaines, grâce au témoignage du lanceur d’alerte Bradley Birkenfeld.
Que s’est-il passé ? En novembre 2008, la justice américaine a accusé la banque suisse UBS d’avoir, entre 2000 et 2007, attiré plusieurs dizaines de milliers d’Américains fortunés pour placer chez elle quelque 20 milliards de dollars (14,7 milliards d’euros). Non seulement UBS a aidé ces personnes à frauder le fisc, mais de surcroît effectuait un démarchage transfrontalier illégal, car sans licence et sans déclaration fiscale.
Qu’a-t-on appris ? Que la Suisse restait un gigantesque paradis fiscal grâce auquel, protégés par le secret bancaire, de nombreux clients fraudaient le fisc de leur pays en ouvrant des comptes non déclarés. Et que les banques, en plus d’accepter ces clients, les démarchaient activement dans ce but.
Quelles conséquences ? En 2009, UBS a accepté de payer 780 millions de dollars d’amendes et de transmettre aux Etats-Unis les noms d’environ 4 450 clients américains afin d’éviter une inculpation et de conserver sa licence. Plusieurs autres banques suisses ont accepté de coopérer avec les autorités américaines, encouragées par une nouvelle loi suisse permettant de faire entorse au secret bancaire.
En France, la justice s’est saisie de l’affaire en 2012, et a mis en examen UBS et sa filiale française l’année suivante pour avoir démarché activement des clients français en leur proposant d’ouvrir des comptes non déclarés en Suisse. En juillet 2015, la justice allemande a remis au fisc français un disque contenant 38 330 comptes de clients français, dont Le Monde a pu consulter une partie. La banque devrait être renvoyée dans les mois qui viennent devant le tribunal correctionnel de Paris. Elle encourt une amende de plusieurs milliards d’euros, soit la moitié du montant global des valeurs dissimulées.
2. Les Offshore Leaks (2013)
Trente-six médias étaient partenaires en 2013 de l'enquête internationale sur les paradis fiscaux "Offshore Leaks" en collaboration avec le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ). | ICIJ
Qui en était à l’origine ? Le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et 36 médias internationaux, dont Le Monde.
Quel était le sujet ? Les journalistes de l’opération Offshore Leaks ont consulté et enquêté sur une « fuite » de 2,5 millions de documents associés à 122 000 sociétés offshore gérées par les firmes de domiciliation Portcullis TrustNet (Singapour) et Commonwealth Trust Limited (îles Vierges britanniques).
Qu’a-t-on appris ? Offshore Leaks a, pour la première fois, permis de comprendre précisément et de l’intérieur les mécanismes de la finance offshore et de l’évasion fiscale. L’opération a permis de mettre en évidence le rôle crucial de certaines banques françaises, comme BNP Paribas et le Crédit agricole, dans ce système. Du côté des particuliers, on a appris que 130 Français avaient placé des actifs dans ces sociétés offshore (principalement des entrepreneurs et des notables de province, mais aussi le trésorier de campagne de François Hollande, Jean-Jacques Augier).
Quelles conséquences ? Au niveau international, le directeur général du groupe autrichien Raiffeisen Bank International (RBI), Herbert Stepic, a démissionné du conseil d’administration de sa banque après l’annonce de l’ouverture d’une enquête officielle sur ses placements personnels dans des paradis fiscaux. Et un mois après la publication des fuites, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie ont mis la main sur des données comparables à celles obtenues par l’ICIJ, qu’ils ont ensuite partagées avec les autres pays. Les Offshore Leaks ont joué un rôle important dans l’offensive du G20 et de l’OCDE contre les paradis fiscaux, qui vise notamment à généraliser l’échange automatique de données.
3. Les China Leaks (janvier 2014)
Les China Leaks ont mis en lumière l'argent caché de l'élite chinoise. | ICIJ
Qui en était à l’origine ? L’ICIJ et une équipe restreinte de médias internationaux, dont Le Monde.
De quoi parlait-on ? Il s’agissait de la partie la plus importante du dossier Offshore Leaks, qui avait été mise de côté et réservée pour plus tard, en raison de la barrière de la langue (et des variations de traduction lorsqu’on passe des caractères chinois à l’alphabet latin), une difficulté pour analyser ces documents.
Qu’a-t-on appris ? L’opération a révélé que plus de 20 000 clients originaires de Chine ou de Hongkong étaient liés à des compagnies offshore situées dans des paradis fiscaux, dont plusieurs « princes rouges » liés au Parti communiste chinois (comme le beau-frère du président Xi Jinping, le fils et la fille du premier ministre Wen Jiabao et des proches de Deng Xiaoping, Li Peng, Peng Zhen et Hu Jintao).
Quelles conséquences ? Les autorités chinoises ont censuré la majorité des informations relatives aux « leaks », en bloquant notamment les sites internet étrangers ; les accusations n’ont donné lieu à aucune poursuite.
4. Les Luxembourg Leaks (novembre 2014)
Les « tax rulings » permettaient au Luxembourg de légaliser l’évasion fiscale de grandes multinationales, comme Amazon. | EMMANUEL DUNAND / AFP
Qui en était à l’origine ? Grâce à plusieurs lanceurs d’alerte, dont Antoine Deltour (ancien employé du cabinet d’audit PricewaterhouseCoopers), et au journaliste français Edouard Perrin, l’ICIJ et quarante médias partenaires, dont Le Monde, révèlent 28 000 pages d’accords fiscaux confidentiels conclus entre 2002 et 2010 entre le fisc luxembourgeois et des multinationales (Apple, Amazon, Verizon, AIG, Heinz, Pepsi ou encore Ikea).
De quoi parlait-on ? Il ne s’agit plus d’évasion fiscale de particuliers par des comptes bancaires, mais d’optimisation fiscale de 340 grandes multinationales avec la complicité des autorités luxembourgeoises.
Qu’a-t-on appris ? Ces tax rulings permettent à ces entreprises de déroger au régime fiscal de droit commun pour payer moins d’impôts. Ils émanent du cabinet d’audit et de conseil PricewaterhouseCoopers, qui les a rédigés et en a négocié les termes avec l’administration luxembourgeoise.
Quelles conséquences ? Les Luxembourg Leaks ont fragilisé le tout nouveau président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, qui était premier ministre du Grand-Duché lorsque les accords ont été écrits. Les Etats européens ont également validé, en octobre 2015, dans un temps record, la directive sur la transmission automatique des rulings entre administrations. Et la Commission européenne prépare de nouvelles directives pour obliger les multinationales à transmettre des informations détaillées sur leurs activités, pays par pays, aux fiscs de leurs pays (chiffre d’affaires, profits, impôts payés…). Bruxelles veut en outre neutraliser l’évasion fiscale, en empêchant le recours abusif aux dispositifs fortement « défiscalisants » (prêts intragroupe, déduction d’intérêts…).
Conséquence plus dommageable (pour la liberté d’expression), le journaliste français Edouard Perrin a été inculpé le 23 avril 2015 au Luxembourg, notamment pour « vol domestique » et « blanchiment ». Cette mise en examen était la troisième au Luxembourg, après celle d’Antoine Deltour, en décembre 2014, et d’un autre employé de PwC en janvier 2015.
5. Swiss Leaks, les listings HSBC (2015)
Les "Swiss Leaks" étaient issus des fichiers volés par l'informaticien Hervé Falciani dans la banque suisse HSBC. | CHRISTIAN HARTMANN / REUTERS
Qui en était à l’origine ? Ce sont des documents volés par l’ancien informaticien de HSBC Hervé Falciani à la banque et que la France a récupérés. Le Monde y a eu accès et les a partagés avec l’ICIJ et 55 médias.
De quoi parlait-on ? Sur le volet français, il s’agissait de deux listings concordants, établis par le fisc et la justice à partir de la base des données livrée par M. Falciani. Ils contenaient environ 3 000 noms de citoyens français ayant détenu un compte au sein de la banque suisse HSBC en 2005-2006. Pour le reste du monde, les données contenues avaient été remises sur clé USB par un informateur au Monde : elles renfermaient les noms de plus de 100 000 clients et de 20 000 sociétés offshore.
Qu’a-t-on appris ? Certains des noms de la liste étaient en situation régulière (comme Christian Karembeu ou Alain Afflelou, résidents suisses), tandis que d’autres étaient dans l’illégalité, comme Arlette Ricci, héritière de la maison de couture Nina Ricci. L’enquête française a aussi jeté un regard sévère sur les pratiques d’HSBC, qui aurait aidé activement ses clients à échapper à l’impôt, leur proposant de constituer elle-même leur société offshore, et tentant parfois de dissuader ses clients de régulariser leur situation. Selon un décompte du fisc en 2014, plus de 5,7 milliards d’euros auraient ainsi été cachés par des contribuables français, dissimulés derrière des sociétés-écrans installées au Panama ou aux îles Vierges britanniques.
Quelles conséquences ? Arlette Ricci a reçu une condamnation à trois ans de prison dont deux avec sursis et à 1 million d’euros d’amende pour fraude fiscale (elle a fait appel). L’enquête contre HSBC en France s’est accélérée : sa filiale suisse, HSBC Private Bank, a été mise en examen pour « complicité de blanchiment aggravé de fraude fiscale » et « complicité de démarchage illégal ». Au Royaume-Uni, les députés ont ouvert une enquête sur les pratiques de HSBC. Au Brésil, après l’ouverture d’une enquête par la justice, et des difficultés économiques pour l’ensemble du groupe, la banque a fini par fermer sa filiale. Dans les autres pays, la banque a négocié afin de payer une amende plutôt que de risquer un procès, comme en Suisse, où elle a réglé 38 millions d’euros de pénalités, ou tente encore de le faire (en Belgique). L’informaticien Hervé Falciani était mis en accusation par la Suisse pour espionnage économique. Réfugié en Espagne, qui a refusé de l’extrader après qu’il a collaboré avec le fisc espagnol, puis revenu en France, où il n’est pas « extradable », il a été condamné par défaut à cinq ans de prison en Suisse, fin 2015.