Ce que les manifestants peuvent et ne peuvent pas faire
Ce que les manifestants peuvent et ne peuvent pas faire
Par Benjamin Bruel
Résumé des droits et des obligations des manifestants, presque deux mois après les premières mobilisations contre la réforme du code du travail.
A chaque nouvelle journée de mobilisation contre le projet de réforme du code du travail son lot de heurts entre policiers et manifestants. Nous avons évoqué dans un précédent article ce que policiers et gendarmes ont le droit de faire ou non lors d’une manifestation. Et vous avez été nombreux à nous demander la même chose concernant les manifestants.
Cortège d’étudiants lors d’une manifestation contre le projet de réforme du code du travail, à Paris, le 28 avril. | Eric Nunès
Ce que dit la loi sur les manifestations
Dans la législation française, le droit de « manifestation sur la voie publique » n’est pas inscrit dans la Constitution, bien qu’étant présent dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Le droit de manifestation est donc régi par des décrets et la jurisprudence, qui combine le droit d’aller et venir et le droit d’exprimer ses opinions. Ce droit doit toutefois être compatible avec la nécessité, pour les pouvoirs publics, d’assurer l’ordre et la sécurité des personnes et des biens.
Depuis un décret-loi datant d’octobre 1935, il faut déposer une demande de manifestation sur la voie publique auprès de la préfecture, au plus tard trois jours avant la date de la manifestation. Le but de la manifestation, le nom de trois organisateurs – le minimum de personnes pour une manifestation –, la date et le lieu de la manifestation doivent figurer sur la demande.
Sur quels critères les autorités peuvent-elles interdire une manifestation ?
Le délai minimal de trois jours demandé aux organisateurs doit permettre aux autorités de valider la demande, le parcours de la manifestation et son encadrement, afin de garantir la sécurité sur la voie publique, d’après une ordonnance de mars 2012.
Toutefois, les autorités publiques, c’est-à-dire la préfecture de police à Paris, les maires ou préfets en province, se réservent le droit de discuter ou d’interdire toute manifestation « si les circonstances font craindre des troubles graves à l’ordre public » et des atteintes à la sécurité publique.
Concrètement, les motifs d’interdiction sont très larges. Il peut s’agir d’une incapacité pour la police à maintenir la sécurité, ou l’assurance d’un risque important de provocation, en fonction des buts de la manifestation, par exemple. Contactée, la préfecture de police précise : « S’il y a des risques avérés, nous n’avons pas à les dévoiler. »
Me Gilles Devers, avocat pénaliste à Lyon et blogueur, considère qu’il « ne suffit pas de dire qu’il y a un risque de trouble à l’ordre public, puisque la manifestation est elle-même faite pour troubler l’ordre public. Il ne suffit pas d’évoquer un risque, il faut lui donner une substance ».
Braver cette interdiction revient, pour les organisateurs, à s’exposer à une amende 7 500 euros et six mois d’emprisonnement. Toutefois, les organisateurs de la manifestation peuvent déposer un recours auprès du tribunal administratif en cas d’interdiction. Celui-ci se prononce très rapidement sur la question, avant la date prévue pour la manifestation. Un appel peut même être formé en Conseil d’Etat.
A-t-on le droit de participer à une manifestation sauvage ?
La manifestation sauvage ou spontanée n’est pas clairement délimitée dans la législation. La référence juridique est, sur cette question, l’article 431-3 du code pénal, qui renvoie à la « participation délictueuse » à ce qui est dénommé comme étant un « attroupement ».
Un attroupement, ou un regroupement de personnes, n’est pas illégal en soi, mais il ne bénéficie pas du régime des libertés fondamentales. Il pourra donc être considéré comme « susceptible de troubler l’ordre public » assez rapidement par les forces de l’ordre. Celles-ci, par la voix du préfet ou d’officiers, sont censées effectuer deux sommations de dispersion sans effet, avant d’utiliser la force. Sauf si elles ont été elles-mêmes, préalablement, attaquées.
Si la manifestation sauvage a lieu à la suite de l’interdiction d’une manifestation, seuls les organisateurs de la manifestation interdite pourront a priori être poursuivis par la justice. Néanmoins, une loi « renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public », adoptée en 2009 par l’Assemblée nationale, permet aux forces de l’ordre d’interpeller un groupe entier en cas de « préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de violences volontaires ».
Dans quel cadre le manifestant peut-il participer à un sit-in ou utiliser la résistance passive pour protester ?
Le sit-in, c’est-à-dire l’occupation d’un lieu de manière non violente, généralement en position assise, est considéré de la même manière qu’une manifestation en mouvement : il s’agit d’une réunion organisée sur la voie publique dans le but d’exprimer une conviction collective. Le sit-in est donc régi par les mêmes droits, limites et réglementations.
Qu’en est-il si le sit-in est organisé de manière sauvage ou dans un lieu privé ? Là encore, les forces de l’ordre peuvent tout à fait disperser les manifestants en usant de la force. Cet usage doit se faire selon deux critères : la nécessité de son emploi et sa proportionnalité. La France a ainsi été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour un usage disproportionné de la force à la suite de la plainte d’un manifestant, frappé aux jambes à coups de bâton télescopique car il adoptait une attitude de « résistance passive » en refusant de se lever.
Peut-on filmer les policiers lors d’une manifestation ?
Rassemblement de soutien aux réfugiés installés dans le lycée Jean-Jaurès, à Paris, en travaux, juste avant l’évacuation de l’établissement le 4 mai. | GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP
Il est normalement nécessaire de recueillir le consentement d’une personne pour pouvoir diffuser son image, bien qu’il existe des exceptions et des cas particuliers dans le droit à l’image. Notamment lorsqu’il s’agit d’images de groupes ou de manifestations publiques : on considère que l’image ne porte pas atteinte à la vie privée, puisque la personne consent implicitement à être exposée aux regards des autres dans un lieu public.
S’agissant des policiers, rien n’interdit aux particuliers ou aux médias de filmer leur action. La commission nationale de déontologie de la sécurité considérait, dans un rapport en 2006, que « le fait d’être photographiés ou filmés durant leurs interventions ne peut constituer aucune gêne pour des policiers soucieux du respect des règles déontologiques ».
Les policiers ne bénéficient pas de protection particulière en matière de droit à l’image et ne peuvent pas saisir un appareil photo, une caméra ou leur contenu, à moins qu’il ne s’agisse d’un officier de police judiciaire habilité par le parquet.
En cas de casse d’un appareil photo ou vidéo, s’il n’y a pas eu de sommation, « c’est comme pour l’état d’urgence et les perquisitions : on ne peut pas fracasser la porte de chez quelqu’un avant d’avoir sonné et tenté de prévenir », résume Me Devers.
Un manifestant peut-il refuser une fouille au corps ou un contrôle d’identité ?
Les forces de l’ordre procèdent à des interpellations après avoir délogé les manifestants du mouvement Nuit debout de la place de la République à Paris, le 28 avril. | OLIVIER LABAN-MATTEI / MYOP POUR LE MONDE
Seul un policier ou un gendarme peut demander légitimement à contrôler les papiers d’identité d’une personne. Personne n’est obligé d’avoir en permanence sa carte d’identité sur soi, mais l’on doit pouvoir justifier de son identité. En cas de refus, les forces de l’ordre ont le pouvoir de conduire l’individu au poste de police pour une vérification d’identité.
De même, un policier a le droit de demander à fouiller un sac, en particulier lors d’une manifestation. En cas de refus, il a également le droit d’emmener la personne au poste, mais doit obtenir une réquisition du parquet pour aller plus avant dans la fouille de ses objets. Un procès-verbal doit également être établi, que le manifestant peut refuser de signer.
La fouille au corps n’est possible, a priori, que dans trois cas : enquête préliminaire avec accord express de la personne, commission rogatoire ou flagrant délit. Ce dernier cas peut s’appliquer dans le cadre d’une manifestation, si violences il y a. Un policier peut utiliser la palpation de sécurité sur un manifestant, s’il le juge nécessaire. Validée par la jurisprudence, cette mesure est donc assez subjective, mais ne peut se transformer en fouille précise au corps.
Quant au prélèvement ADN, demandé par un officier de police judiciaire ou le procureur de la République, il est en droit une obligation s’il existe « des indices graves ou concordants rendant vraisemblable » que la personne en cause ait « commis des infractions » dont la liste, de plus en plus large, est détaillée ici. Ce prélèvement rejoindra ensuite le fichier national des empreintes génétiques.
Peut-on se dissimuler le visage lors d’une manifestation ?
Non. A la suite de manifestations en 2009, lors d’un sommet de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord à Strasbourg, un décret, surnommé « anticagoule », a été adopté. Plusieurs syndicats ont alors saisi le Conseil d’Etat, qui a validé la disposition en 2011. On ne peut pas « dissimuler volontairement son visage afin de ne pas être identifié dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l’ordre public », selon le décret, qui prévoit une amende d’un maximum de 3 000 euros. Toutefois, le décret n’apporte pas plus de précisions sur les moyens de dissimuler son visage, et une certaine liberté d’interprétation existe.
Un manifestant a-t-il le droit d’intervenir face à un casseur ?
Tout citoyen peut, en droit, faire obstacle à un délit ou un crime : « N’est pas pénalement responsable la personne qui, pour interrompre l’exécution d’un crime ou d’un délit contre un bien, accomplit un acte de défense, autre qu’un homicide volontaire, lorsque cet acte est strictement nécessaire au but poursuivi, dès lors que les moyens employés sont proportionnés à la gravité de l’infraction », est-il écrit dans le code pénal.
Il y a donc un certain nombre de limites à cette règle : on peut retenir une personne pour permettre aux forces de l’ordre de l’arrêter, mais pas la frapper ou la blesser, sous peine d’être à son tour l’objet d’une plainte.
Un manifestant peut-il faire usage de la légitime défense face à un policier ?
En droit, cette interrogation est en réalité un non-sens : les forces de l’ordre doivent protéger les citoyens et la question de la légitime défense ne devrait pas se poser. « Je ne le prendrais pas sous cet angle, parce que, en temps normal, cette question n’a pas de sens. Le danger devrait être réel et actuel. Mais résister à un usage abusif de la force est un droit. Il est justifiable et, il ne faut pas l’oublier, l’excès d’usage de la force met en cause le policier, mais aussi et surtout l’Etat », souligne Me Devers.
Il est de toute façon possible de porter plainte contre des violences policières, à condition de disposer de preuves suffisantes. En mars 2015, un policier a ainsi été condamné à trois ans de prison ferme pour avoir violemment frappé un jeune homme lors de son arrestation, le laissant hémiplégique.
En cas d’arrestation, quels sont les droits du manifestant ?
Le manifestant a les mêmes droits que toute personne interpellée par les forces de l’ordre, notamment connaître les raisons de sa détention et pouvoir parler à un avocat. Il a également le droit de garder le silence face aux questions des forces de l’ordre.
Après une interpellation, un manifestant arrêté sera présenté à un officier de police judiciaire, qui a seul le pouvoir de le placer en garde à vue. La durée de la garde à vue est en principe de quarante-huit heures au maximum, note également le syndicat de la magistrature dans un blog.
Si à la fin de la garde à vue le procureur de la République estime disposer d’éléments probants suffisants démontrant que le manifestant a commis une infraction, il est vraisemblable qu’il décide de le déférer devant un tribunal, le plus souvent en comparution immédiate (qu’il est possible de refuser, mais au risque de rester détenu dans l’attente du procès).
Ces droits peuvent-ils être restreints, notamment par l’état d’urgence ?
Manifestations : les CRS dénoncent "un niveau de violence jamais atteint"
Durée : 05:09
Comme nous l’avons déjà souligné, l’état d’urgence ne donne pas en soi de pouvoirs ou d’impunité supplémentaires aux forces de l’ordre.
Toutefois, il permet d’interdire à une personne « cherchant à entraver de quelque manière que ce soit l’action des pouvoirs publics » l’accès à un endroit donné, ou encore d’assigner à résidence toute personne « dont l’activité s’avère dangereuse pour la sécurité ou l’ordre public ». Il permet donc aux forces de l’ordre de restreindre plus fortement et avec moins de justifications la liberté de circulation.
Il peut également interdire « les réunions de nature à provoquer ou entretenir le désordre », donc les manifestations, et faire fermer provisoirement « salles de spectacle, débits de boissons et lieux de réunions ».