Niger : « Boko Haram a déjà infiltré la population »
Niger : « Boko Haram a déjà infiltré la population »
Après plusieurs jours de harcèlement, les djihadistes ont attaqué la localité de Bosso, au sud-est du pays, où la situation reste confuse.
Des soldats de l’armée du Niger, en mai 2015. | ISSOUF SANOGO / AFP
La première attaque sérieuse de Bosso, vendredi au crépuscule, s’est soldée par un bilan très lourd : 30 à 36 soldats, selon les témoins, ont été inhumés dimanche soir à Diffa. On parle de centaines de disparus, d’une trentaine de véhicules militaires, y compris blindés, volés ou détruits, avec de l’armement et du carburant. Le bilan des victimes civiles est encore inconnu. Le deuxième bilan officiel, publié lundi, fait état de 26 soldats tués dont 24 Nigériens et 112 blessés dont un civil.
Le drapeau noir de Boko Haram
Faute d’intervention aérienne venue les tirer d’affaire, les militaires, souvent de très jeunes soldats tout juste sortis de l’école, ont pris la fuite, laissant derrière eux une ville livrée au pillage. Les éléments de Boko Haram ont détruit, brûlé et volé, jusqu’aux légumes en terre dans les potagers. Le matin, ils étaient repartis quand l’armée nigérienne est à nouveau entrée en ville. Mais vers 11 heures, Boko Haram est revenu. On ne sait rien de ces combats-là, en termes de bilan, si ce n’est que la gendarmerie, la compagnie et la préfecture ont été détruites.
Dimanche, le drapeau noir de Boko Haram flottait donc sur Bosso, ville fantôme dont la population était réfugiée depuis la nuit du vendredi à Toumour, à quelques kilomètres de là. Mais Boko Haram a attaqué Toumour. Des tirs d’armes lourdes et légères étaient entendus ce lundi dans la ville. Et les déplacés sont repartis sur les routes, trouvant refuge à Diffa déjà gagnée par la panique.
« C’est la débandade. L’armée nigérienne a laissé toutes ces populations. Elles fuient en désordre et ne savent pas où aller. Le jour de l’attaque, on a empêché les gens d’aller porter secours aux déplacés. Le gouvernement a peur que les éléments de Boko Haram ne s’infiltrent mais c’est trop tard. Ils sont déjà là », se désole Lamido Moumouni, député d’opposition de la région de Diffa à l’Assemblée nationale du Niger.
Pas de renfort aérien
« J’ai des amis militaires présents à Bosso qui sont venus me voir aujourd’hui. Ils vont quitter Diffa ce soir ou demain. Depuis samedi, ils ont dit à leurs familles de partir, raconte un animateur de la radio locale Anfani. Ils disent qu’ils ne retourneront pas à Bosso se battre contre Boko Haram. Ils sont découragés de ne pas avoir reçu de renfort aérien et craignent de se faire tirer dessus avec leur propre armement. »
C’est la grande question que tout le monde se pose au Niger. Pourquoi n’y a-t-il pas eu de renfort aérien samedi ? En ce qui concerne les assaillants, plusieurs témoignages parlent de peaux rouges (blancs), de personnes parlant anglais ou arabe. Mais un habitant de Bosso a raconté avoir entendu la discussion de deux membres de Boko Haram, devant sa porte, au sujet de sa vieille voiture Toyota qu’ils avaient l’intention de voler. Ils parlaient kanouri, la langue majoritaire dans l’ethnie majoritaire au sein de Boko Haram.
« Boko Haram veut s'implanter en Afrique centrale et attiser les conflits locaux »
Durée : 06:37
« De Diffa à Gagamari, partout, ce sont des gens qui partent. Dans les cinq sociétés de bus, toutes les places sont réservées pendant une semaine. La seule solution, c’est de partir avec un véhicule particulier en partageant les frais de carburant », raconte l’animateur, lui-même à la recherche d’une solution pour mettre en lieu sûr sa femme, sa mère et ses deux enfants. En ce début de ramadan, la plupart des Nigériens ont les poches vides.
A Diffa, les militaires ont fait partir leurs familles et ont commencé eux aussi à quitter la ville. En effet, des membres de Boko Haram ont conseillé à des civils fuyant les combats de rester en brousse et de ne pas aller à Diffa, parce qu’ils allaient attaquer. Ces dernières heures, la psychose a gagné la capitale régionale. Un suspect a été arrêté à l’hôpital, lundi matin. Un autre abattu par l’armée alors qu’il avait dégainé une arme, samedi soir.
Une situation humanitaire qui se détériore à grande vitesse
Parallèlement, un regroupement a été observé à Damassak, de l’autre côté de la rivière Komadougou, côté nigérian. Des pécheurs et des éleveurs peuls les ont vus en train de se rassembler. Une attaque concertée, de part et d’autre de la Komadougou, est possible. Boko Haram pourrait se glorifier d’une grande victoire sur le Niger et se livrer au pillage en prévision de la saison des pluies qui vient de commencer.
La situation humanitaire se détériore à grande vitesse. Lundi, OCHA, le bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires, faisait état de 75 000 déplacés de plus, s’ajoutant aux 241 000 déplacés et réfugiés déjà enregistrés dans la région de Diffa.
La situation se complique de mouvements multiples. « Les déplacés continuent à bouger. Certains sont d’anciens déplacés qui vont fuir la nouvelle situation. D’autres, de nouveaux déplacés de Bosso, Toumour et Yebi. Ils vont aller vers le Nord, cherchant à s’éloigner de la frontière », a estimé le député Lamido Moumouni. OCHA, de son côté, constate des besoins pressants en nourriture, en abris, en produits non alimentaires, protection, santé, eau et assainissement.