Un salarié échappe au licenciement pour « faute grave » grâce à ses trois ans d’ancienneté
Un salarié échappe au licenciement pour « faute grave » grâce à ses trois ans d’ancienneté
Par Elodie Chermann
L’ancienneté du salarié diminue-t-elle la gravité de la faute qu’il a commise ? C’est ce que tend à montrer la jurisprudence. Un arrêt de la Cour de cassation du 19 mai tend à le confirmer.
« Juridiquement, il y a une vraie légitimité à prendre en compte les trois ans d’ancienneté puisque le droit prévoit toute une série de règles protectrices auxquelles le salarié ne peut prétendre qu’à partir de deux ans d’ancienneté », selon Me Rilov (Photo: cérémonie du 130e anniversaire du Conseil supérieur de la magistrature, en 2013, à la Cour de cassation). | THOMAS SAMSON / AFP
C’est l’histoire tristement banale d’un salarié licencié après avoir accusé à tort son supérieur hiérarchique de lui avoir porté des coups. L’affaire serait sans doute passée inaperçue si la Cour de cassation, dans un arrêt du 19 mai 2016, n’avait pas donné raison à la cour d’appel de Reims qui, en octobre 2014, avait estimé que l’ancienneté de trois ans du salarié devait entrer en ligne de compte dans l’appréciation de la gravité de sa faute.
En l’occurrence, les faits n’étaient pas, selon elle, constitutifs d’une faute grave, c’est-à-dire de nature à justifier la rupture immédiate du contrat de travail, mais relevaient « simplement » d’une cause réelle et sérieuse de licenciement. Est-ce à dire qu’un employé avec un peu d’ancienneté peut se permettre des coups bas contre son employeur ? Certainement pas. « En l’espèce, les juges n’ont à aucun moment remis en question le bien-fondé du licenciement », insiste Patrick Tymen, juriste spécialisé en droit social. « Ils ont simplement considéré que la même faute, selon qu’elle est commise par un salarié qui a deux mois d’ancienneté ou quinze ans, ne doit pas produire les mêmes effets. »
C’est loin d’être une révolution. « Cette référence à l’ancienneté existe déjà depuis plusieurs années », rappelle Patrick Tymen. Dans un arrêt du 29 février 2012, la Cour de cassation avait déjà estimé qu’une salariée qui avait insulté son patron devant des clients ne pouvait pas être licenciée pour faute grave au regard de son ancienneté dans l’entreprise.
Le seuil protecteur des 2 ans
Et pour le juriste, cette posture revêt un certain sens. « Prenez le cas d’un agent de sécurité tout juste embauché. Le jour de sa prise de service, il arrive avec un quart d’heure de retard. Au regard de la nature et des exigences de ses fonctions, il y a objectivement matière à rompre le contrat. Mais si un autre agent de sécurité dans la même entreprise, employé lui depuis quinze ans, enregistre un jour un retard de 15 minutes alors qu’il a toujours été ponctuel et irréprochable, ça n’a pas du tout le même poids social », explique M. Tymen.
Un avis que ne partage pas tout à fait Me Jean-Marc Albiol, avocat associé au barreau de Paris, spécialisé en droit social. « Tous les conseils de prud’hommes de France et de Navarre considèrent, par principe, le salarié comme la partie la plus faible, ce qu’il est objectivement, souligne-t-il. Ils ont donc toujours tendance à lui chercher des circonstances atténuantes, et je le comprends tout à fait. Ce qui me choque en revanche, c’est que l’ancienneté soit mise au même niveau que des faits graves, à savoir ici un mensonge important, une tentative de déstabilisation. Dans l’échelle de valeurs, je préférerais qu’on regarde d’abord les faits et ensuite qu’on prenne en compte l’ancienneté. »
Dans le cas précis, les trois ans d’ancienneté du salarié peuvent sembler dérisoires. « Je ne trouve pas », conteste Me Fiodor Rilov, une star du barreau de Paris qui intervient explicitement dans la défense des salariés. « Juridiquement, il y a une vraie légitimité à prendre en compte les trois ans d’ancienneté puisque le droit prévoit toute une série de règles protectrices auxquelles le salarié ne peut prétendre qu’à partir de deux ans d’ancienneté. »
Rien d’étonnant donc à ce que la Cour de cassation rejette finalement le pourvoi formé par l’employeur. « Jusqu’en 2013, la chambre sociale de la Cour de cassation s’autorisait, en cas de licenciement pour faute grave, un pouvoir d’appréciation de la gravité de la faute, analyse Me Rilov. Si elle constatait une erreur de qualification caractérisée des juges du fond, elle n’hésitait pas à casser leur décision. La donne a changé. Aujourd’hui, la Haute Cour procède à un contrôle plus restreint. » Les chances de succès des pourvois en cassation en matière sociale sont donc relativement limitées.