Valero Doval

Une victoire des Bleus à l’Euro 2016 provoquerait-elle ­enfin chez les Français ce déclic collectif de confiance attendu ­depuis si longtemps ? La France demeure une énigme autant qu’une singularité : le degré de défiance qui plombe le pays est l’un des plus hauts d’Europe. Il mine l’économie, ralentit la croissance, abîme la démocratie. Dans son « Rapport annuel sur l’état de la France », le Conseil économique, ­social et environnemental (CESE) sonne l’alarme : ce mal français « ne peut plus être pris à la légère ».

Rendu public en pleine tourmente sociale, le texte décrit notre pays comme « un handicapé, atteint durablement par un déficit de confiance des acteurs économiques et sociaux ». Cette institution, représentante de la société ­civile, déplore que le mal ne soit pas traité à la racine : faute d’une explication sur les mutations du monde, d’un « récit collectif » capable de susciter « une communauté de destins », la France continuera à broyer du noir.

L’ambition du CESE est donc de contribuer à faire un peu de clarté sur les réalités contrastées du pays et de bâtir un tableau de bord de ses ­forces et de ses faiblesses pour mieux guider les politiques publiques. Avec une visée de long terme, car seule la perspective du temps long peut redonner du sens à l’action des responsables publics.

Epaulé par France stratégie, organisme de réflexion et de conseil rattaché au ­premier ministre, le CESE a choisi une dizaine d’indicateurs pour sortir de l’obsession du seul taux de croissance. Les mêmes données ­seront suivies, analysées et commentées chaque ­année, pour mesurer les progrès et les éventuels reculs et prendre à témoin l’opinion aussi bien que les responsables publics. C’est l’impact des réformes qui sera ainsi évalué, sans parti pris et en toute indépendance.

Un verdict sans appel

Mais sans complaisance non plus. Deux indicateurs, particulièrement alarmants et intimement liés, sont mis en avant dans la livraison 2016. D’un côté, le décrochage fort de la France en matière de recherche et développement (R&D) et d’innovation ; de l’autre, notre insatisfaction chronique dans la vie. La France prépare mal son avenir. Le verdict est sans appel : notre pays ­investit chaque année 12 milliards d’euros de moins que l’Allemagne dans l’innovation et ne consacre que 2,26 % de son PIB à la R&D. C’est 0,01 point de plus qu’en 1995 ! L’effort de l’Allemagne dépasse les 3 %. La Corée, un des pays les plus en pointe dans la révolution numérique, y consacre plus de 4 %, et vise 5 % dans les années qui viennent. Mieux : elle s’apprête à rejoindre et même à dépasser la France pour la quantité de publications scientifiques internationales.

Ce « décrochage » inquiétant, affirme le CESE, risque de devenir insurmontable si la France ne trouve pas 16 milliards d’euros par an d’ici à 2020. Et encore, il s’agirait seulement de ne pas perdre pied et d’atteindre le niveau fixé par la stratégie de Lisbonne, décidée par les pays de l’Union européenne pour doper l’économie de l’innovation.

Le « manque de culture scientifique des élites françaises, politiques et économiques » est montré du doigt, de même qu’une « méfiance chronique vis-à-vis de la recherche fondamentale », et une « incapacité » à conjuguer de manière complémentaire une « grande recherche publique » et une « grande recherche industrielle privée ». Selon Pierre-Antoine Gailly et Benedict Donnelly, les deux rapporteurs du CESE, ce désintérêt pour la recherche et cette difficulté à inventer l’avenir nourrissent le sentiment de déclassement et l’angoisse collective des Français.

Paradoxes hexagonaux

Déjà, de grands économistes, Joseph Stiglitz, Amartya Sen et Jean-Paul Fitoussi, dans un rapport remis à Nicolas Sarkozy en 2009, préconisaient de créer, à côté du PIB, des « indicateurs du bonheur » et de « satisfaction ». Ceux-ci sont ­encore incertains, les statisticiens cultivant une sainte méfiance vis-à-vis de notions complexes et trop subjectives comme le « bien-être » ou le « bonheur ». Mais l’Insee et Eurostat se sont jetés à l’eau. Leurs chiffres montrent que les Français, talonnés par les Espagnols et les Italiens, se ­situent sous la moyenne européenne en matière de « satisfaction dans la vie ».

Une autre économiste spécialisée dans ce ­domaine, Claudia Senik, note que les Français « transforment systématiquement un niveau de vie donné en un niveau de bonheur moindre que dans les autres pays en moyenne ». Leurs conditions matérielles de vie ne se détériorent pas, ils s’estiment « heureux dans leur vie de famille » et, souvent, « dans leur vie professionnelle ».

Pourtant, leur niveau d’insatisfaction est fort. « La France est un pays où 72 % des gens se disent heureux, mais 84 % disent que les autres sont malheureux », s’amuse le sociologue Jean Viard, habitué à traquer les paradoxes hexagonaux.

Ce pessimisme procède à la fois d’une inquiétude face à l’avenir et d’un doute dévastateur sur les atouts de la France dans la mondialisation. Voilà qui ­devrait donner à penser aux nombreux candidats qui convoitent la magistrature suprême.

Rendez-vous sur l’état de la France : mardi 14 juin, de 18 heures à 20 heures

Conseil économique, ­social et environnemental (CESE), 9, place d’Iéna, ­Paris 16e.

Ouverture Patrick Bernasconi, ­président du CESE.

Echange avec les rapporteurs : Pierre-Antoine Gailly, représentant du groupe des entreprises, et Benedict Donnelly, personnalité associée au CESE.

Premier thème : la cohésion sociale

Avec Luc Bérille (UNSA), Yannick Blanc (Fonda), Tom Chevalier (Sciences Po), Carole Couvert (CFE-CGC), Christian Vernaudon (CESE).

Deuxième thème : la préparation de l’avenir

Avec Jean Claude Ameisen (Comité consultatif national d’éthique),­ Dominique Barrau (FNSEA),­Sabine Basili (UPA), Guillaume Duval­ (Alternatives économiques), Jacques de Heere (Acome), Marylise Léon (CFDT), Philippe Louis (CFTC), Thierry Philipponnat (Institut Friedland).

Troisième thème : la qualité de vie

Avec Michel Chassang (UNAPL), Bernard ­Tranchand (UNAF), Pascale Vion (Fédération nationale de la Mutualité ­française).

Echange avec Patrick ­Lenancker, vice-président du CESE.

Débat animé par Vincent Giret, rédacteur en chef au Monde.

Programme complet sur www.lecese.fr

Cet article fait partie d’un supplément réalisé en partenariat avec le Conseil économique, social et environnemental (CESE).