Terrorisme ou non ? Le meurtre de Jo Cox provoque la polémique
Terrorisme ou non ? Le meurtre de Jo Cox provoque la polémique
Pourquoi tant de réticences à ranger le crime commis contre la députée britannique dans la catégorie « terrorisme » ? Le débat fait rage en ligne et dans la presse.
« Il est temps de qualifier le meurtre de Jo Cox comme ce qu’il est : du terrorisme d’extrême droite », s’exaspère la chroniqueuse du journal conservateur The Telegraph Juliet Samuel, vendredi 17 juin. Et elle n’est pas la seule, au Royaume-Uni, à s’étonner de la réticence des médias et des responsables politiques à qualifier de « terroriste » l’assassinat de la députée du West Yorkshire, jeudi 16 juin, devant une bibliothèque où elle tenait sa permanence électorale. Le suspect, Thomas Mair, 52 ans, a été inculpé pour homicide samedi 18 juin.
Le créateur de la sitcom « Citizen Khan » (diffusée sur la BBC) Adil Ray le dénonce également sur Twitter : « Ne pas qualifier cette attaque d’acte de terrorisme ne fera qu’éloigner la communauté musulmane. Et Jo Cox a durement combattu cela. »
To not label this attack as a terrorism will only act to further distance the Muslim community. Something Jo Cox fought hard to prevent.
— adilray (@Adil Ray)
Alors que les liens du suspect, avec l’extrême droite sont au cœur de l’enquête de la police britannique, le journaliste américain Glenn Greenwald, qui avait participé aux révélations d’Edward Snowden sur la surveillance de la NSA et du GCHQ en 2013, s’étonne sur le site The Intercept du « contraste absolu avec un incident très proche qui a eu lieu au Royaume-Uni en 2010, lorsqu’un parlementaire britannique, Stephen Timms, avait été violemment poignardé et presque tué par une femme ». Le journaliste rappelle qu’à cette époque, tous les médias britanniques avaient tout de suite qualifié l’attaque de « terroriste ». La différence ? Elle est « évidente », pour lui : « L’agresseur de Timms était musulmane, originaire du Bangladesh, alors que le suspect du meurtre de Cox… ne l’est pas. »
« Troubles mentaux »
Au Royaume-Uni, selon le Terrorism Act de 2000, un acte doit, pour être qualifié comme terroriste, « viser à influencer le gouvernement ou à intimider la population ou une partie de la population dans le but de faire avancer une cause politique, religieuse ou idéologique ».
Pour certains, la prudence autour de Thomas Mair s’explique donc par le doute qui peut encore subsister sur les motivations du suspect – des informations contradictoires sont parvenues sur le fait qu’il ait prononcé les mots « Britain first ! » lors de l’attaque – et sur sa personnalité – son frère affirme qu’il souffre de « troubles mentaux ». Mais, comme le souligne le chroniqueur du Financial Times Robert Shrimsley, « il est frappant que [les deux plus grands tabloids britanniques] The Sun et The Daily Mail, deux organes de presse qui ne sont pas franchement connus pour leur couverture prudente et discrète de l’actualité, aient tous les deux soulignés que le suspect était un “fou solitaire” ou un “solitaire avec un passif de maladie mentale”. »
Cette prudence, notamment concernant les témoignages sur les paroles prononcées par Mair lors de l’attaque, est louable, souligne-t-il. Mais… « on ne peut que s’interroger sur la prudence avec laquelle certains médias auraient évalué les éléments de l’enquête si le tueur avait eu une origine différente. Comment, peut-on se demander, ces titres auraient traité des témoignages assurant que le tueur avait crié “Allah Akbar” pendant qu’il portait les coups ? »
Glenn Greenwald fait de son côté le parallèle avec Omar Mateen, le tueur d’Orlando, également touché par des troubles mentaux, mais « qualifié immédiatement de terroriste ». Et plusieurs internautes lui ont fourni des modes d’emploi très visuels sur Twitter :
@ggreenwald https://t.co/lr4uIeTxKK
— AOAlfi (@Ahmed Alfi)
@ggreenwald @sunny_hundal @mrjamesob https://t.co/kGt9sqniWr
— Box_Office_Mike (@MaloneⓂ)
« Pourquoi les tireurs blancs sont-ils appelés des “malades mentaux” ? »
Le débat n’est pas sans rappeler celui qui touche régulièrement les Etats-Unis au sujet des tueries de masse. Vendredi, les habitants de Charleston (Caroline du Sud) commémoraient justement le premier anniversaire de la fusillade qui a fait neuf morts dans un église fréquentée par la communauté noire. A l’époque, le tueur, Dylan Roof, ouvertement raciste, avait été qualifié de « forcené », et ses troubles mentaux avaient également été mis en avant. Dans le Washington Post, une professeure de l’université de Pennsylvanie, Anthea Butler, s’interrogeait : « Les tireurs de couleur sont appelés des “terroristes” et des “voyous”. Pourquoi les tireurs blancs sont-ils appelés des “malades mentaux” ? »
Quelques mois plus tard, l’attaque d’un planning familial à Colorado Springs (Colorado) avait relancé la polémique.